Une lecture de La Divine Comédie (40)
Le Purgatoire, Chant VII. Dialogue de Virgile et de Sordel. La loi de la montée au Purgatoire. La vallée fleurie. Quelques princes négligents.
(Dimanche de Pâques, de 3 heures de l’après-midi à 7heures du soir)
Les ombres pullulent au pied de la roide pente aux épreuves ; ce n’est pas tout à fait l’émeute, mais une houle de foule à tourbillons sur cette aire d’attente et de tri où confluent les âmes non damnées mais point encore sauvées ad aeternum.
Or il faut se le rappeler à tout moment et se demander ce que cela nous dit : qu’il en va de leur salut, et donc du vôtre possiblement, du nôtre – mais en voulez-vous, en veux-tu, cela m’importe-t-il seulement d’être sauvé, et à quel prix et conditions ?
Scandale humanitaire à l’étape, qui rappelle l’exclusion des innocents bambins non baptisés juste dignes des Limbes : pas de salut non plus pour ceux qui n’ont pas accédé à la seule vraie foi de leur vivant, tel le « divin » poète Virgile, né trop tôt pour l’onction du baptême et le catéchisme en bonne et due forme.
Ainsi le guide de Dante ne pourra-t-il accéder au Paradis de son vivant de mortel pourtant très méritant : le Règlement théologique s’y oppose, étable sans consultation du Salutiste par excellence que fut le rabbi Iéshouah, qui disait comme ça de laisser venir à lui les petits filous, ainsi que les voyous et autre voyelles.
Fin de la digression : comme le jour décline au pied de la montagne aux contritions, Dante trépigne un peu d’impatience et s’inquiète du chemin à suivre auprès de Sordel, qui lui fait comprendre que l’escalade ne se fera pas de nuit (symbole ou sagesse pratique d’avant l’invention de la lampe frontale) mais qu’il est, non loin de là, un lieu protégé où il sera possible de se reposer un peu non sans croquer un biscuit et rendre grâces au vu de la belle Nature.
Le poète relaie alors le casuiste moralisant et cela donne ça en nouvel italien chantant :
«Tra erto e piano eraun sentiero schembo,
che ne condusse in fianco de la lacca,
la dove più ch’a mezzo muore il lembo.
Oro e argento fine, cocco e biacca,
Indaco, legno lucido e sereno,
Fresco smeraldo in l’ora que si fiacca,
Da l’erba e dali fior, dentr’a quel seno
Posti, ciascun sara di color vinto,
Come dal suo maggiore é vinto il meno.
Non avea pur natura ivi dipinto,
Ma di soavità di mille odori ».
Ce qui se traduit, par delà l’enchantement des sonorités picturales, comme ceci :
Entre pente et replat un sentier oblique
Nous conduisit au flanc de la ravine,
Là où le bord s’abaisse jusqu’à moitié.
Or et argent fin,écarlate et céruse,
Indigo, bois luisant comme air serein,
Fraîche émeraude quand on la brise,
Près de l’herbe et des fleurs, dans ce vallon,
Verraient ternir l’éclat de leur couleur,
comme le moins est vaincu par le plus.
La nature ici n’avait pas seulement peint, mais par la suavité de mille odeurs
elle formait un ensemble inconnu, indistinct, ».
La lectrice et le lecteur futés auront perçu, dans les subtiles correspondances de cette suite d’images, une anticipation du petit Baudelaire illustré.
De fait, voici la délicieuse « clairière » des poètes, voici les mots qui sauvent !
Le salut par la théologie et la prétendue « voie droite » de l’Eglise prétendue sainte par ses docteurs et autres imams ? Des clous !
D’ailleurs , ce septième chant fait défiler quelques princes contemporains du poète, à peu près aussi ferré en philosophie politique que son compatriote Machiavel, qu’il juge de son haut pour leur « négligence » selon ses propres attentes en la matière.
Il y a là tout un beau monde arrimant le poème à ce qu’on appelle aujourd’hui l’actu : tels Rodolphe d’Allemagne et Ottokar roi de Bohème, Grand Nez (Charles d’Anjou) et autres Béatrice de Provence ou Marguerite de Bourgogne, enfin toute une smala qui a coupé à l’Enfer mais devra prier et chanter encore quelques hymnes avant d’accéder au Paradis.
Alors quoi ? Le salut par l’idéologie religieuse ou politique ? Mon œil !
Bien plutôt : le salut par ces bribes de musique en nous, qui ne sont l’apanage ni d’une révélation exclusive ni d’aucun Système.
Or, cela vous chante-t-il d’être sauvé ? Oui si cela me chante, mais faites-en une Loi et je me sauve !
Salut, je t'ai vu !
Dante. Le Purgatoire. Traduction et commentaire deJacqueline Risset. Flammarion GF :