En recherchant dans ma bibliothèque l’"Oliver Twist" de Charles Dickens pour y puiser une citation avec exactitude, je me retrouve nez à nez avec "Le Dieu venu du Centaure" de Philips K. Dick. Je me rappelle bien sûr combien ce récit m’avait alors marqué. Mais je me souviens également que les horreurs futuristes des romans et des films dits d’anticipation de cette époque étaient d’autant plus excitantes qu’on les savait relever plus du rêve que de la prospective. Pourtant, la rumeur d’un vaste complot d’Illuminati modernes incrustant des puces électroniques dans les cerveaux humains continue encore aujourd’hui de courir. Selon les adeptes de cette croyance, ces nouveaux maîtres du monde pourraient non seulement connaître les pensées de leurs sujets mais également les téléguider. On sait par exemple que l’abus de pâte à tartiner peut entraîner le consommateur sur la pente dangereuse de l’obésité. Afin de préserver sa santé future, un message de satiété sinon de dégoût pourrait être envoyé par l’ordinateur central au cerveau de l’enfant tenté d’en abuser à l’heure du goûter. Les statistiques montrent que le téléphone au volant provoque de nombreux accidents de la circulation. Certes, le code de la route l’interdit mais il ne l’élimine pas pour autant. Dans le but d’éviter des coûts financiers exorbitants, une impulsion pourrait être envoyée au cerveau du conducteur pour lui enjoindre de résister à son penchant bien naturel de répondre lorsque retentissent les premières mesures du Printemps de Vivaldi". Les démographes sont formels : les populations citadines vont encore augmenter. En dépit des caméras de vidéosurveillance, des rondes de police et de toutes autres mesures sécuritaires, les vols à l’arraché, crimes et autres viols connaîtront naturellement la même courbe ascendante. Au cas où une soudaine pulsion criminelle s’emparerait d’un quidam quelconque l’incitant à se jeter sur la pauvre jeune femme égarée dans le métro à une heure indue pour s’emparer de sa carte bancaire sinon même de sa virginité, un ordre impératif serait envoyé pour l’empêcher de passer à l’acte. Hélas, à l’image de la langue d’Ésope, si une telle mainmise sur le comportement du citoyen offre de nombreux de avantages, elle ouvre également la porte à tout autant d’abus possibles. Telle manifestation de travailleurs contre des licenciements pourrait se transformer en ovation des dirigeants. Telle élection à la présidence de la République verrait aisément le candidat préféré des comploteurs accéder aux plus hautes fonctions. Bien qu’en la circonstance, les manipulations politiciennes suffisent déjà à orienter le choix des électeurs sans avoir recours à des technologies futuristes. On peut certes imaginer que les guerres de religion disparaîtraient au profit d’une vaste entente cordiale entre les peuples ou que les massacres ethniques entre tribus laisseraient place à une affectueuse fraternité. Mais cet état de soumission des individus ne serait-il pas assimilable à de l’esclavage ? Peu convaincus, contrairement à Jean-Jacques Rousseau, de la bonté naturelle de l’espèce humaine, certains auteurs considèrent que ce serait le prix à payer pour vivre enfin en paix et en harmonie avec soi-même et avec les autres. Mais l’esprit de rébellion dont avaient déjà fait preuve Adam et Ève face aux recommandations de leur créateur et provoqué de facto leur expulsion du jardin d’Éden, demeure malgré tout profondément ancré lui aussi dans le cerveau de leurs descendants. Nombre d’entre eux ne sont pas disposés à abandonner leur libre-arbitre. Fusse au prix de guerres fratricides et d’exterminations de peuples entiers. C’est pourquoi le jour qui verra les prophéties des partisans des Illuminati se réaliser n’est pas encore pour demain et les tristes conséquences de la liberté de l’Homme ont encore de beaux jours devant elles. Toutefois, il ne serait peut-être même pas nécessaire de doter alors chaque nouveau-né d’un relais électronique avec un éventuel Big-data universel. Dans nos contrées dites civilisées, la plupart des jeunes générations se sont d’elles-mêmes greffé un smartphone dans la main. Grâce à ses innombrables applications et aux réseaux sociaux, les commerçants ont déjà la possibilité d’en identifier chaque individu, de le situer géographiquement, de connaître ses goûts en matière de consommation et de loisirs par exemple. Ils peuvent ainsi flatter ses envies et prévenir ses désirs. En un mot, organiser sa vie pour lui. Ne restera plus demain qu’à réunir toutes ces données en une base unique et à un groupe quel qu’il soit de s’en rendre maître. Il prétendra bien sûr agir pour le bien de l’humanité. Mais en dehors de toute morale, où est le bien et où est le mal ? Les chemins du futur étant imprévisibles, ils nous laissent encore bien des choses à penser. (Lire les ouvrages de Stéphane François sur les théories du complot, "La France contre les robots" de Georges Bernanos et voir ou revoir la série télévisée de Graham Theakston et Christopher Barry "Les tripodes")
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