Je prends le train sur une longue distance une fois par semaine. J'ai fini par organiser mon temps de façon optimum et soit je travaille, soit je lis, soit j'écris bref, je vis une vie relativement riche et ce, malgré les aléas de la SNCF. Il se trouve que je voyage souvent en soirée mais qu'aujourd'hui, je suis partie par le premier train du matin. J'ai donc eu la chance de voir se lever l'aube sur la Bourgogne et j'ai traversé le Morvan sous un soleil radieux. Je contemplais donc avec émerveillement la forêt accrochée à flanc de colline, mélange éclatant d'arbres d'or et de feu et de sapins d'un vert profond lorsque j'entendis brusquement à ma gauche une sorte de gloussement, le hoquet d'un rire contenu. Nous étions fort peu nombreux dans le compartiment, c'était ma jeune voisine, de l'autre côté de l'allée centrale. Elle était plongée dans la lecture d'un livre dont je ne vis pas, dans un premier temps, la couverture. Je me replongeai donc dans mes rêveries et mon admiration lorsqu'elle attira une fois encore ma curiosité. Elle ne pouvait plus se contenir : prise d'un inextinguible fou-rire, elle avait les larmes aux yeux et cherchait désespérément un mouchoir dans son sac. Compatissante et intéressée, je lui offris un kleenex pour pouvoir m'enquérir de ce qui la portait ainsi aux nues.
"Le Triporteur, de René Fallet", me répondit-elle. Je fus extrêmement étonnée, car je ne sais pas trop pourquoi j'étais persuadée que plus personne ne lisait René Fallet aujourd'hui. Ce qui est d'ailleurs bien dommage car cet homme est l'auteur non seulement dudit désopilant Triporteur, et autres œuvres drôlatiques, mais aussi et surtout de L'Amour baroque, que j'avais lu adolescente à la bibliothèque de Châteaudun et que j'ai mis plus de vingt ans à retrouver, en le cherchant avec assiduité dans toutes les brocantes et foires au livre de la France entière.
Nous échangeâmes donc, ma voisine de train et moi-même, quelques considération opportunes sur le Triporteur, le film du même nom et qu'elle n'avait pas vu mais qui est loin de valoir le texte, et sur le fait que l'on peut vraiment rire aux éclats avec un livre, alors qu'on se borne bien souvent à simplement sourire aux bons mots d'un comique patenté.
C'est vrai, et depuis que je ne lis plus - ou très rarement - de romans, je me prive de cette inépuisable source de gaité. Dans le même temps, je n'ai plus accès aux larmes, du moins à celles-ci... Car les romans, quand ils sont tristes, font pleurer aussi efficacement qu'un bon film. Par exemple, je me souviens encore de la première fois où j'ai lu Silbermann, de Jacques de Lacretelle. J'ai réellement pleuré à chaudes larmes. Certes, j'étais une adolescente un peu impressionnable, mais je n'exclue pas le fait que cela puisse à nouveau m'arriver.
Alors voilà : pour les deux extrêmes, je vous conseille Le Triporteur et Silbermann. Si des doutes subsistent quant à l'efficacité du second pour les larmes de crocodile, le succès du premier est incontestable.