Magazine Talents

Xavier Grall Solo (extrait)

Publié le 01 novembre 2015 par Pestoune

Solo est un très long poème (près de 50 pages) que Xavier Grall composa peu avant sa mort. C’est à la fois une ode à la vie, une prière à Dieu. Un texte particulièrement profond qui ne peut que toucher vos coeurs.

cygnessauvages

Seigneur me voici c’est moi

je viens de petite Bretagne

mon havresac est lourd de rimes

de chagrins et de larmes

j’ai marché

Jusqu’à votre grand pays

ce fut ma foi un long voyage

trouvère

j’ai marché par les villes

et les bourgades

François Villon

dormait dans une auberge

à Montfaucon

dans les Ardennes des corbeaux

et des hêtres

Rimbaud interpellait les écluses

les canaux et les fleuves

Verlaine pleurait comme une veuve

dans un bistrot de Lorraine

Seigneur me voici c’est moi

de Bretagne suis

ma maison est à Botzulan

mes enfants mon épouse y résident

mon chien mes deux cyprès

y ont demeurance

m’accorderez-vous leur recouvrance ?

Seigneur mettez vos doigts

dans mes poumons pourris

j’ai froid je suis exténué

O mon corps blanc tout ex-voté

j’ai marché

les grands chemins chantaient

dans les chapelles

les saints dansaient dans les prairies

parmi les chênes erraient les calvaires

O les pardons populaires

O ma patrie

j’ai marché

j’ai marché sur les terres bleues

et pèlerines

j’ai croisé les albatros

et les grives

mais je ne saurais dire

jusqu’aux cieux

l’exaltation des oiseaux

tant mes mots dérivent

et tant je suis malheureux

Seigneur me voici c’est moi

je viens à vous malade et nu

j’ai fermé tout livre

et tout poème

afin que ne surgisse

de mon esprit

que cela seulement

qui est ma pensée

Humble et sans apprêt

ainsi que la source primitive

avant l’abondance des pluies

et le luxe des fleurs

Seigneur me voici devant votre face

chanteur des manoirs et des haies

que vous apporterai-je

dans mes mains lasses

sinon les traces et les allées

l’âtre féal et le bruit des marées

les temps ont passé

comme l’onde sous le saule

et je ne sais plus l’âge

ni l’usage du corps

je ne sais plus que le dit

et la complainte

telle la poésie

mon âme serait-elle patiente

au bout des galantes années ?

Seigneur me voici c’est moi

de votre terre j’ai tout aimé

les mers et les saisons

et les hommes étranges

meilleurs que leurs idées

et comme la haine est difficile

les amants marchent dans la ville

souvenez-vous de la beauté humaine

dans les siècles et les cités

mais comme la peine est prochaine !

Je viens d’un pays musicien

liesses colères et remords

amènent les vents hurleurs

sur le clavier des ports

Seigneur ayez pitié !

je viens d’un pays chrétien

 ma Galilée des lacs et des ajoncs

 enchante les tourterelles

 dans les vallons d’avril

 me voici Seigneur devant votre face

 sainte et adorable

 mendiant un coin de paradis

 parmi les poètes de votre extrace

 si maigre si nu

 je prendrai si peu de place

 que cette grâce

 je vous supplie de l’accorder

 au pauvre hère que je suis

 ayez pitié Seigneur

 des bardes et des bohémiennes

 qui ont perdu leur vie

 sur le chemin des auberges

 nulle orgue grégorienne

 n’a salué leur trépas

 pour ceux qui meurent

 dans les fossés

 une feuille d’herbe dans la bouche

 le cœur troué d’une vielle peine

 de lourdes larmes dans le paletot

 et dans les veines des lais et des rimes

 Seigneur ayez pitié !

Xavier Grall " Solo et autres poèmes " (1981) 

vmsov59mesangebleuebrantignyvosgesfrance

Photographies de Vincent Munier

Poesie


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine