Voici ce que j'ai déclaré devant le monument aux morts, à l'occasion du 11 novembre 2015
Son nom est Louise, mais on l’appelle Alice, à cette époque, du côté de la rue d’Isly à Lille. En 1915, il y a donc 100 ans, Louise est âgée de 34 ans. Depuis Lille, elle prend régulièrement le train avec son amie Marie-Léonie Vanhoutte pour Bruxelles, où elle donne des cours d’allemand, mais aussi de français, d’italien, d’espagnol, d’anglais. Les deux femmes sont surtout des messagères. Elles rivalisent d’imagination pour transporter des messages à “tante Emma”, un honorable correspondant qui vit aux Pays-Bas, pays neutre, ou pour participer à la “Poste des familles” qui permet aux Lillois de donner de leurs nouvelles à ceux qui vivent en zone non occupée.
Une fois revenue à Lille, Alice redevient Louise de Bettignies, septième enfant de Julienne Mabille de Poncheville et Henri de Bettignies, faïencier à Saint-Amand-les-Eaux.
Elle a fait ses études à Oxford, puis retourne à la fac de lettres de Lille, à la mort de son père en 1903. Un temps, Louise envisage même de devenir journaliste, avant de songer au Carmel, puis de partir comme préceptrice chez les Visconti à Milan, et un peu plus tard chez la princesse Elvira de Bavière.
Très vite, ses compétences linguistiques, mais surtout son caractère intrépide et sa détermination lui valent d’être remarquée par les autorités alliées. Elle enchaîne les voyages, et met en place avec son amie un véritable réseau lillois, Ramble (randonnée, en anglais). S’y retrouvent des cheminots, des garde-barrières, des brasseurs, des professeurs, des ecclésiastiques, des membres des grandes familles de Lille-Roubaix-Tourcoing, des fonctionnaires qui ont accès aux plans et documents allemands. Un des lieux de rendez-vous favoris de tout ce petit monde, c’est Notre Dame de la Treille, où on échange des messages, à proximité du bénitier...
En février 1915, Alice, alias Louise, apprend que le Kaiser Guillaume II doit arriver en visite secrète à Lille. Elle transmet l’information. A l’heure H, quatre avions anglais surgissent mais ratent la cible…
Un peu plus tard, Louis Sion, industriel tourquennois lui demande de transmettre un message qui stipule qu’un dépôt de munitions allemand vient d’être installé près de la gare de Tourcoing. 48 heures plus tard, le dépôt explose sous les bombes de deux avions anglais. Peu à peu, les Allemands ne peuvent plus installer de batteries d’artillerie autour de Lille sans qu’elles soient immédiatement détruites. En septembre 1915, Louise permet d’anéantir un dépôt de munitions dans d’anciennes mines à côté de Lens, puis en septembre ce qui n’est encore qu’un champ d’aviation à Lesquin.
“A elle seule, Louise valait un corps d’armée” dira le commandant Baumann, officier du contre espionnage allemand. Evidemment, l’ennemi est attentif, et les deux femmes finissent par se faire repérer, puis arrêter. Louise est interpellée à l’estaminet le Canon d’or, au poste de frontière de Froyennes, près de Tournai. Elle retrouve sa complice à la prison de Saint-Gilles, près de Bruxelles. Le 16 mars, le conseil de guerre allemand condamne Louise à la peine capitale, Marie-Léonie à 15 ans de travaux forcés. Le 23 mars, le gouverneur de Belgique commue la peine capitale en détention perpétuelle. Toutes les deux sont transférées dans une prison près de Cologne, où elle fomentent une révolte des prisonnières. En novembre 18, Marie-Léonie s’évade, alors que la prison est prise d’assaut par des mutins. Louise décède quelques jours après l’armistice des suites d’une pneumonie. Sa dépouille sera ramenée solennellement en 1920, avant d’être inhumée dans le caveau familial à Saint-Amand les Eaux.
Louise de Bettignies, la Jeanne d’Arc du Nord, est devenue une figure de l’unité nationale notamment pour les résistants de 39-45. On lui devait bien un monument, qu’on peut toujours admirer boulevard Carnot, et une place à son nom, à l’entrée du Vieux Lille.
Louise de Bettignies, comme tant d’autres femmes, a contribué par son incroyable sang froid et avec ses qualités hors du commun à fragiliser un ennemi parfaitement organisé. On pourrait en citer beaucoup d’autres, comme Marie-Léonie Vanhoutte, Adèle Destombes à Frelinghien, Marie-Thérèse Lhermitte à Haubourdin, Elise Leveugle, madame Feron-Vrau, femme d’industriel, madame Vaugirard, femme de médecin, madame Prouvost-Masurel, femme dyu patro de la Lainière à Mouvaux, Emilienne Moreau à Wingles, ou encore Marie Lecocq, la fameuse Mademoiselle from Armentières.
Elles ont montré dans les actes à quel point la bravoure et l’action des femmes pouvaient porter notre avenir, contribuer à la paix. Elles ont pris des risques insensés pour qu’aujourd’hui nous vivions en paix. A leur manière, avec leur culot, leur débrouillardise pour suppléer les hommes partis au front, les femmes ont été des héroïnes de cette guerre. Beaucoup sont mortes pour la France. Nous leur devions bien ce petit portrait et cet hommage pour commémorer le centenaire de cette première guerre mondiale.
Un énorme merci à l'ami Hervé Leroy et au livre qu'il,vient de publier "Femmes d'exception en Nord Pas de Calais", qu'il vient de publier aux éditions du Papillon rouge