Les réseaux du terrorisme
Par Hervé Azoulay
J’ai écrit une Tribune publiée dans LES ECHOS du 28 septembre 2001 sous le titre « Le terrorisme : mécanismes et remèdes d’une organisation en réseau » après les attentats des Twin Towers (NDLR les Tours jumelles du World Trade Center à New York) aux USA. Cette tribune largement diffusée dans les médias américains à cette époque n’a pas pris à ce jour une seule ride ! Je la soumets aux lecteurs pour juger du peu de changement culturel et opérationnel sur le terrorisme depuis plus de 14 ans !
Les réseaux du terrorisme
« Le monde découvre avec stupéfaction l’horreur qui n’a probablement pas atteint son apogée, confronté à des terroristes qui sacrifient leur vie pour faire entendre leur cause. Aucune cause ne justifie de tels moyens, ni de tels actes barbares contre des innocents. Aujourd’hui, les réseaux terroristes sont devenus globaux alors que les états démocratiques sont restés locaux au niveau de l’information, de la coordination et de la lutte. Cette réalité conduit à un nouveau paradigme, c’est à dire à un nouveau cadre de référence pour les états et de nouveaux comportements de leurs citoyens face à des menaces potentielles. Pour lutter contre ce type d’organisation en réseau, il devient important de comprendre ces mécanismes pour mieux les combattre.
Les réseaux du terrorisme n’ont rien de nouveau, ils existent depuis des millénaires. Invisibles, omniprésents, ils sont hiérarchisés par couches où les membres les plus puissants sont ceux qui les animent, les financent, et maintiennent des connexions avec d’autres réseaux. Généralement, le réseau se constitue en noyau dur autour d’individus, d’amis, de membres de la famille qui partagent la même cause, et qui ont des relations informelles et conviviales. Ce qui est nouveau, c’est que maintenant le réseau est en résonance mondiale, puisque l’accent est mis sur le global et que trois paramètres sont exploités simultanément : les hommes et leurs motivations, les structures financières internationales et l’information par le biais de l’Internet. Dans un réseau il n’y a ni sommet, ni base, ni centre, tout le monde est simultanément sur le réseau. Malgré l’éloignement, toutes les cellules travaillent ensemble et peuvent être touchées à tout moment. Il se transforme pour suivre l’environnement, on y trouve des zones très denses et d’autres presque vides, sa capacité et sa taille peuvent changer en fonction de nouveaux besoins. Sa cohérence est maintenue par l’implication de chaque acteur ayant intégré le projet global : détruire pour une cause. Les organisations terroristes en réseau fonctionnent par projet, l’orientation est axée vers de nouveaux attentats, ce qui favorise « l’innovation » et la « créativité » dans l’horreur. Il développe également le partenariat avec d’autres organisations terroristes pour une action ciblée et se dissout ensuite. La cellule centrale joue un rôle fondamental dans un réseau, elle l’aide à se développer, à lui assurer une assistance, une logistique, une formation et lui donne les moyens financiers pour agir. La cellule est l’élément de base du réseau, elle est capable d’assurer son existence et de se reproduire dans tous les environnements en jouant sur des systèmes autorégulateurs qui lui sont propres. Elle est autonome, de petite taille, en contact direct avec l’environnement, ce qui la rend souple, interactive, flexible et rapide.
De nombreux états démocratiques découvrent les ramifications des réseaux qu’ils ont contribués à laisser se développer sur leur territoire en pensant pouvoir mieux les maîtriser. Tous ces états centralisés qui fonctionnent avec de nombreux niveaux hiérarchiques, sont mieux adaptés à des guerres classiques et bien préparés à maintenir l’ordre civil avec de lourds moyens. De ce fait, ils ont du mal à comprendre les organisations informelles, flexibles, légères et fluides. Le général chinois Sun Tsu disait dans « L’art de la guerre » que ‘’la victoire n’appartient pas au plus fort mais au plus fluide’’. Les états démocratiques devront apprendre à changer et à travailler en réseau avec tous leurs partenaires, entretenir la coopération et non la rivalité, se focaliser sur l’essentiel et laisser les futilités de côté, pour apporter une solution mondiale à des pays enracinés dans le local. Une règle d’or en systémique nous enseigne que lorsque nous sommes confrontés à un système complexe, et c’est le cas des réseaux, l’efficacité des systèmes de lutte dépend de notre capacité à susciter une complexité au moins égale à son environnement. Il faut donc décentraliser les lourds services centraux de nos états pour descendre au niveau des cellules et créer ainsi plus d’intelligence au niveau du terrain. Cette approche conduit à une stratégie globale au niveau des états qui s’appuie sur une stratégie moderne où l’on prend en compte simultanément les processus descendants « Top down » et ascendants « Bottom up ». Il ne suffit pas d’avoir une vue globale du terrorisme en l’écoutant grâce à de « grandes oreilles », il faut également mettre en place l’approche ascendante du terrain qui sera l’organisation apprenante, pour inventer et trouver de nouvelles orientations stratégiques.
Mettre du réseau dans nos pyramides nécessite que les réseaux d’information et d’action soient rattachés au plus haut niveau de chaque état pour être autonomes, interdépendants des autres réseaux, interactifs et rapides. La rapidité dans l’action peut engendrer le risque d’erreur, mais le droit à l’erreur est normal et ne peut s’effectuer que dans un environnement humain confiant. Si nous ne commettons pas d’erreur c’est que nous ne prenons pas de risques ! Dans une démocratie, plus les libertés sont grandes et plus la sécurité s’affaiblit. La liberté d’agir génère plus de variété et accroître cette variété nous rend encore plus libres. Tous les réseaux génèrent de la variété pour obtenir de la spécificité, mais devant la multiplication de l’information, nous serons obligés de faire des choix spécifiques. Pour cela nos systèmes de valeur doivent également devenir plus spécifiques. De ce fait, nos comportements collectifs seront bouleversés puisque nous serons perpétuellement sur le qui-vive, nous développerons l’auto surveillance qui générera des réflexes d’autodéfense. Etre fouillé et passé par les détecteurs deviendra hélas une habitude. Tous ceux chargés de prévoir et maintenir l’ordre, se rapprocheront de la société civile, la frontière deviendra très étroite avec les citoyens pour obtenir une meilleure collaboration.
Déstabiliser le réseau terroriste c’est d’abord anéantir la cellule centrale, ensuite isoler les cellules en coupant leurs financements et leurs liens avec l’information. C’est plus facile à dire qu’à faire, mais la réussite passe par la capitalisation du réseau des états démocratiques, pour partager, diffuser et développer les expériences et les connaissances. Nos sociétés devront fonder leur avantage sur la meilleure conjonction des intelligences, des compétences et de leur savoir-faire. C’est à ce prix que nous gagnerons. »
Hervé Azoulay
Hervé AZOULAY a été dirigeant dans de grands groupes internationaux, co-fondateur de plusieurs entreprises innovantes, Business Angel, fondateur d’un des premiers réseaux de Business Angels en France, Président d’un fonds d’investissement, intervenant dans de grandes écoles et à l’université en France et à l’étranger, auteur de nombreux ouvrages et de tribunes dans la Presse.
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