Je ne suis pas ce qu’on appelle, un homme élégant. Parfois ça m’attriste, comme lorsque je croise mon voisin, retraité tout comme moi, toujours tiré à quatre épingles pour aller acheter son pain ou promener son clébard, alors que moi, je traine avec ma paire de jeans et ma paire de pompes que j’use jusqu’à ce que la semelle rende l’âme.
Si je n’ai pas d’excuses, du moins ai-je deux explications. Tout d’abord, je me fiche du qu’en dira-t-on et de l’opinion des autres ; secundo, quand je me suis dégoté des fringues dans lesquelles je suis parfaitement à mon aise, j’arrête les frais et je m’y prélasse jusqu’à leur mort vénérable. Donc, pensez-vous, sa garde-robe n’est pas particulièrement fournie. Hé bien, c’est faux ! C’est là aussi tout le paradoxe de la chose. Parfois je craque pour un pull neuf ou un t-shirt qui m’a tapé dans l’œil chez le marchand et puis rentré chez moi, je l’enfile pour sortir et je regrette mon vieux vêtement remisé dans l’armoire, il connaissait mes formes, savait comment se plier pour satisfaire à mon confort, alors que le nouveau, pas encore dégrossi doit tout apprendre. Et de penser au temps que cela va prendre, pour que lui et moi ne fassions plus qu’un, ça m’épuise par avance, alors qu’il est tellement plus simple de renfiler celui dont je voulais me débarrasser… Du coup, le neuf que je connaissais à peine, s’empile avec d’autres dans mon armoire, tandis que le fidèle depuis tant d’années, me saute au corps avec joie. Et nous sortons, me retrouvant fringué comme d’habitude.
Ce qui me conduit, lorsque je fais du tri dans mes placards, à me séparer de vêtements anciens mais neufs et conserver les vieux usés. Pour les godasses, depuis que je ne travaille plus, c’est plus simple, soit grole de marche, soit pompe de sport, quant à celles du temps de ma vie active, elles dorment dans leur boites, prenant la poussière comme les bouteilles de vin dans une cave. L’odeur en plus. N’ayant plus le souvenir exact des modèles cachés dans ces boites, je les ai exhumées de mon armoire. J’ai peu gardé, certaines sans trop savoir pourquoi, au cas où l’occasion se prêterait. Et puis je suis tombé sur mes boots.
Une belle paire de boots, du temps de ma période rocky. Perfecto et anneau d’or dans l’oreille, bottines pointues et talons en biseau, le genre de truc qui ferait hurler ma compagne si elle savait que j’ai conservé cet attirail dans un recoin perdu de mon appartement. Je n’ai pas dû les chausser depuis les années quatre-vingt, peut-être. Je ne les remettrai certainement jamais non plus. Mais elles sont là, je le sais. Témoins muettes d’une époque révolue, d’un autre moi qui un jour a été plus jeune.