Tu sais qu’il est temps de retourner à l’écriture quand tes lectures ne te satisfont plus. Que tu passes d’un roman à l’autre à la recherche d’un tu-ne-sais-pas-trop-quoi. Comme si tu ramassais des framboises et que tu cherchais toujours si la talle voisine ne serait pas plus abondante ou de meilleure qualité.
Quand tu lis un livre après l’autre, de style aussi différent que Six degrés de liberté de Nicolas Dickner et La vie des elfes de Muriel Barbery. Qu’il n’y a entre les deux qu’un seul point commun et encore c’est en cherchant bien : les chapitres alternent entre divers personnages. Que tu trouves que le premier est tout plein de détails qui t’agacent, comme dans une peinture hyperréaliste, jusqu’à écrire les chiffres entre parenthèses « deux (2) ans, trois (3) mois et dix-sept (17) jours » ou divulguer le mot de passe « 5+e’@> » 0~#8vcP », ce dont tu te fous complètement. Mais où l'auteur veut-il en venir? L’histoire va-t-elle enfin commencer, mais bon laissons-nous aller, on verra bien. Quant à l’autre roman, les phrases, en comparaison, deviennent absconses, surtout si on les sort de leur contexte, comme « La vraie foi, on le sait, se soucie peu des chapelles, elle croit en la collusion des mystères et broie de son syncrétisme candide les tentations trop sectaires »...
Quand il y eut avant la lecture de Madame Victoria de Catherine Leroux lu en entier avec admiration pour l’idée originale, mais que tu as abandonné Au péril de la mer de Dominique Fortier faute de ne trouver dans la description du mont Saint-Michel que très peu d’intérêt. Ce qui fait appel à ma raison seule, ce qui ne me touche pas, même si le style atteint des sommets dignes d’un prix littéraire ne suffit pas à la poursuite de ma lecture.
Pas ces temps-ci.
Tous ces signaux et sauts d'un livre à l'autre, comme si c'était une course, indiquent qu’il est temps de délaisser la lecture et de me mettre plutôt à l’écriture. À trouver mes histoires, à plonger dans mes phrases. Visiblement, celles des autres — les phrases comme les histoires — commencent à me lasser. À regarder les autres courir, à juger leur performance, je vois bien que mes pieds trépignent d’impatience. Je ne ferai sûrement pas mieux, je peinerai, je travaillerai, je bifferai, je corrigerai, je délaisserai, je reprendrai, mais je n’aurai plus cet air niais du chien vagabond qui cherche dans les cours des voisins la pitance qu’il pourrait trouver chez lui s’il cessait de la chercher ailleurs.
Comme le yin et yang, la lecture et l’écriture sont complémentaires chez moi. Encore faut-il que je cherche l’équilibre et ne me vautre pas seulement dans la lecture en croyant que mon écriture s’améliorera par le miracle des vases communicants ou celui de l’Esprit saint.
Bref, finies les lectures étourdissantes, toutes grisantes soient-elles, je passe à la phase suivante. Des têtes rousses et bouclées m’attendent.
Peut-être qu’ainsi, un jour, je me sentirai à la hauteur pour m’asseoir derrière une table au Salon du livre de Montréal!