Difficile de garder le moral, en ce moment… C’est un peu à cause de ça que, une fois n’est pas coutume, trois des cinq livres dont j’ai décidé de vous parler sont des ouvrages plutôt médiocres dont je ne vous recommande pas spécialement la lecture, même si je n’ai pas vocation à les « démolir » à tout prix.
Marie Léon et Sandrine Léon, Brest hier et aujourd’hui, Wartberg, 2015 : Il y a un an, l’historien Bruno Calvès nous proposait de (re)découvrir les transformations qu’a connues la ville de Brest au travers d’un livre mettant des photographies d’avant-guerre en vis-à-vis avec des clichés des mêmes sites tels qu’ils apparaissent aujourd’hui. La matière est riche étant donnée l’histoire, pour le moins mouvementée, de l’urbanisme dans la ville du Ponant et, un an après, les éditions Wartberg tentent une expérience similaire avec ce recueil de photographies de Sandrine Léon commentées par Marie Léon. Le résultat est très décevant : les textes, écrits dans un style gauche et ampoulé, fourmillent d’erreurs factuelles et historiques (Napoléon III n’a fait qu’appuyer l’inauguration du pont de Recouvrance, il ne l’a pas inauguré lui-même comme l’auteur semble si fière de l’annoncer sur le ton d’une adolescente) et de grossières erreurs de localisation entachent les photographies. Il y a assez de bons livres sur Brest sur le marché, on peut se permettre d’éviter celui-ci.
Méfiez-vous des imitations !
Un demi-siècle en l’honneur des « Arts et Lettres », Société d’histoire des ordres et décorations, 2009: Ce petit ouvrage constitue une curiosité dans la mesure où il permet de connaître l’histoire de l’ordre des arts et lettres ; mais il permet aussi de découvrir à quel point il n’est pas nécessaire de chercher très loin des arguments pour critiquer cet ordre, puisque ses représentants nous en fournissent eux-mêmes involontairement ! On découvre, à peine surpris, que l’ordre s’est distingué dès sa naissance par un conservatisme et une frilosité vis-à-vis de l’innovation artistique qui ne l’a guère quitté depuis : la liste de la première promotion constitue une « non-histoire » de l’art du XXe siècle tant elle est bourrée, à quelques exceptions près, de noms totalement oubliés de têtes de cul poudrées qui se sont sans doute davantage distinguées dans le léchage de cul auprès du pouvoir ; d’ailleurs, les critères d’intronisation sont tellement vagues qu’il devient évident que le lèche-cul est la seule vraie raison d’être de cette assemblée d’emplumés qui s’auto-congratulent. Au final, il n’y a guère que l’article présentant les cousins étrangers de l’ordre qui éveille véritablement notre intérêt au sein de cette succession de lancers de fleurs.
Albert Uderzo, Le ciel lui tombe sur la tête, Albert René, 2006 : En interrogeant diverses personnes à l’occasion de la sortie du nouvel Astérix, j’ai pu m’apercevoir à quel point ce tome, étrillé par la critique à sa sortie, reste le mal-aimé d’une série qui, il est vrai, nous a habitué à mieux. Il faut cependant se garder d’accabler l’auteur : en effet, au moment où il l’a dessiné, Uderzo était déjà très âgé et ne pouvait donc pas ne pas sentir que cet album serait très probablement son dernier, aussi a-t-il saisi l’occasion pour se « lâcher » et « délirer » un peu en nous livrant une histoire très différente de ce à quoi il nous avait habitués, se réservant au passage le petit plaisir de parodier les comics de sa jeunesse et de régler quelques comptes non seulement avec le rouleau compresseur du manga mais aussi avec l’impérialisme américain (Bush Jr était encore président). Comme souvent avec Uderzo, l’idée de base était bonne, en tout cas originale (imaginer des extraterrestres débarquer sur Terre dans l’Antiquité, pourquoi pas, ce n’est pas plus invraisemblable que la potion qui rend invincible) mais n’a pas le développement qu’elle mérite. Il est donc vrai que l’on quitte sans trop de regret cet album qui n’en constitue pas moins une curiosité par son étrangeté.
Pierre Ajame, Hergé, Gallimard, 1991 : Bon arrêtons là avec la médiocrité… Détail émouvant : cet ouvrage est paru à titre posthume, l’auteur étant décédé avant d’avoir pu y apporter la dernière main, à l’instar de l’album Tintin et l’Alph-art, laissé inachevé par Hergé. Mais contrairement à la dernière aventure de Tintin, cette biographie d’Hergé avait déjà dépassé l’état d’ébauche et peut se lire comme n’importe quel livre achevé, on peut même se demander ce que Pierre Ajame comptait encore apporter comme amélioration. Reste donc cet ouvrage qui a l’utilité de corriger bien des idées reçues concernant le créateur de Tintin : on découvre que son enfance fut loin d’être sans histoire, qu’il était issu d’un milieu qui n’était pas à proprement parler bourgeois, qu’il n’a probablement jamais été xénophobe, qu’il n’a certainement jamais été nazi, qu’il n’a jamais collaboré activement avec l’occupant allemand… Bref, il faut appréhender la vie d’Hergé dans les années 1930 pour ce qu’elle est, à savoir la vie d’un tout jeune homme (il n’a que 22 ans quand il crée Tintin !) passionné par le dessin, qui a connu les galères classiques de la vie d’artiste et a simplement fait quelques concessions pour vivre de son art, à commencer par accepter de travailler pour l’abbé Wallez, qu’il est d’ailleurs loin d’avoir suivi dans tous ses délires fascisants. On ne pardonne pas à Hergé de ne pas avoir toujours été digne de son héros fétiche, mais s’il dessinait les aventures de Tintin, il ne les vivait pas. Comme le souligne la préface de Dan Franck, Pierre Ajame pardonne à l’homme mais ne pardonne pas à l’artiste, préférant garder ses mots les plus durs pour les albums qu’il ne juge pas dignes d’Hergé. D’une certaine manière, c’est peut-être la manière la plus pertinente d’approcher la vie et l’œuvre de cet artiste, l’une comme l’autre étant loin d’être simples : si le dessinateur a fait Tintin si vide, c’est simplement pour donner, au lecteur et à lui-même, un guide facile à suivre dans le chaos du monde…
Hergé vu par votre serviteur.
Amélie Nothomb, Pétronille, Albin Michel, 2014 : La fascination de la romancière, belge de nationalité mais japonaise de cœur, pour le Champagne n’est plus à démontrer, elle était au cœur du Fait du prince : mais si ce roman s’ouvre sur une ode à la boisson favorite de l’auteur, le thème central est bien la personnalité, pour le moins haute en couleurs, de la jeune personne qu’Amélie Nothomb choisit comme compagne de beuverie et décide de soutenir dans sa carrière littéraire. On n’a pas manque d’essayer d’identifier la personne réelle dont Pétronille est probablement inspirée, mais une autofiction n’est pas un décalque de biographie et il faut prendre le personnage éponyme pour ce qu’elle est, à savoir un reflet inversé de l’auteur ou, plus exactement, de l’alter ego de papier de l’auteur : dans une crise de folie, Pétronille nous met sur la piste en disant à Amélie : « Qu’est-ce qui me prouve que je ne suis pas toi ? » De fait, les deux personnages se rejoignent dans leur passion commune pour la littérature et le Champagne mais tout les oppose de façon diamétrale : l’une est fille d’ambassadeur et a vu le jour dans un paradis nippon, l’une est prolétaire et a grandi dans une banlieue pourrie, l’une est reconnue et vit de sa plume, l’autre est marginale et galère pour s’en sortir, l’une est timide et maladroite, l’autre est fonceuse et extravertie ; la symétrie est telle que Pétronille, faute d’être Amélie Nothomb, est en tout cas ce que cette dernière aurait pu devenir si elle n’avait pas connu le succès. Dans cette histoire assez échevelée, l’auteur fait littéralement un sort au personnage de femme sombre et cynique qui lui colle à la peau (une démarche déjà bien avancée dans Une forme de vie) et rappelle au public que l’écriture devrait lui permettre de donner naissance à des personnages encore plus extraordinaires que cet alter ego qui constitue son image de marque mais lui ressemble, en fait, bien peu et dont elle commence déjà à se désintéresser à elle-même. Le début d’une nouvelle étape dans son œuvre ?
Amélie Nothomb vue par votre serviteur.
À bientôt pour de nouveaux coups de cœur littéraires.
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