Le cinoche à Jules : Les derniers Samouraïs

Publié le 25 novembre 2015 par Jules

Kenji Misumi, metteur en scène star de la « DAIEI » aura été le cinéaste le plus sous estimé de l’histoire du cinéma Japonais. Ayant principalement réalisé des œuvres de commande, il n’aura jamais auprès de la critique l’aura d’un Mizoguchi ou d’un Kurosawa. Tout au plus la réputation d’être un bon faiseur *.Mais les cinéphiles vont petit à petit redécouvrir son œuvre et y voir la signature d’un véritable auteur. Spécialiste du Chambara (film de sabre Japonais) il va apporter une sensibilité proche du Western Italien et du manga. Mais pas seulement, ses films possèdent également une noirceur et une mélancolie très particulière.

On sait relativement peu de chose sur la vie de Kenji Misumi. Né de la relation illégitime entre une Geisha et un notable, il commencera une carrière au cinéma en tant qu’assistant réalisateur avant d’être appelé sous les drapeaux dans les années 40. Il sera fait prisonnier par les Russes et envoyé dans un camp en Sibérie. Il y restera jusqu’en 1948. Rappelons que ces prisonniers de guerres Japonais furent parmi les grand oubliés de l’histoire. Incarcérés pour certains jusque dans les années 50 et ceux bien plus longtemps que les prisonniers Allemands**. Cette expérience le marquera durement et on peut facilement imaginer que le rapport qu’il entretient avec la violence dans ses films vient probablement de là, une violence très graphique et frontale mais toujours porté par un sentiment d’inéluctabilité mêlant la tragédie à l’absurde.

Misumi fut également le témoin des changements radicaux que subirent les japonais après la guerre. Probablement fanatisé durant son service militaire par le régime impérial (qui mena aux massacres que commirent les soldats Japonais sur la population chinoise) il fut également le témoin de la chute du pays et de l’ingérence de l’Amérique sur le territoire. Puis le miracle économique qui amorça le basculement du japon dans un consumérisme sauvage. Pas étonnant alors que la grande majorité du cinéma Japonais traite de ces changements, amenant toutes une série de questionnements par rapport au poids du passé dans la culture japonaise ; Doit-on préserver ces valeurs ancestrales ? Mais aussi de doutes ; Cet héritage portait-il déjà en lui les germes qui ont amené le pays à la catastrophe ?

Plus qu’un très bon artisan Misumi saura très bien porter subtilement ses questionnements au sein même du Chambara. Sa trilogie du Sabre (« Tuer », « La lame Diabolique », « Le Sabre ») en est l’exemple frappant. Dans « Tuer » (titre Anglais plus inspiré «Destiny’s Son ») la violence est inévitable et semble même se transmettre à travers les générations comme si elle était inscrite dans les gênes du pays. Pareil pour « La lame Diabolique » où le héros plonge dans une spirale de violence juste par désir d’obéissance à son clan. Autre exemple avec « Le Sabre », le dernier volet de la trilogie et rare film contemporain de Misumi. C’est l’adaptation d’une nouvelle de Mishima et, contrairement à ce dernier, il refuse de tomber dans l’apologie d’un honneur que le Japon aurais perdu (nostalgie ambigüe qu’a toujours entretenu Mishima). Il préfère plutôt rester sur l’incapacité des Japonais à choisir entre la tradition (la discipline) et la modernité (profiter de la vie). Tout le génie de Kenji Misumi est de traduire cette angoisse de façon purement visuelle, par la mise en scène. Réalisateur de plus 60 films dont dans la série des « Baby Cart » Misumi terminera sa carrière sur une œuvre qui sera à la fois la somme de sa réflexion sur le genre, mais aussi le chant du cygne du film de sabre Japonais. Mort prématurément à 58 ans il réalisera pourtant son rêve ; écrire entièrement ce film qui sera son testament.

« Les derniers Samouraïs » traite de la guerre civile de la deuxième moitié du 19 siècle, lorsque les partisans du Shogun (la dynastie Tokugawa garant des traditions et d’un état féodal) affrontaient le pouvoir impérial (armé et financé par les occidentaux). Période trouble qui verra l’avènement de l’ère « Meiji », une période d’ouverture culturelle mais aussi le début d’une volonté expansionniste du Japon qui fera ensuite la guerre à la Corée et à la Chine. Période passionnante qui voit les derniers représentants de l’esprit du Samouraïs s’affronter et disparaitre pour laisser place à une ère nouvelle. Histoire largement reprise dans le film « le Dernier Samouraï » d’Edward Zwick avec Tom Cruise. Une version académique et manichéenne assimilant clairement les Samouraïs aux indiens avec un traitement proche des Westerns progressistes (en gros le mythe du bon sauvage).

Le film de Misumi a une approche plus divertissante mais aussi paradoxalement beaucoup plus subtile en montrant les dissidences entre partisans du même clan (la réalité de l’époque). Il raconte le destin de plusieurs personnages (des bretteurs principalement) qui bien qu’opposés politiquement réalisent qu’ils ont beaucoup en commun et restent impuissant face à l’avancé de l’histoire. Le partit pris humaniste de Misumi rend le film et ses personnages très émouvant. Sugi, que l’on pourrait considérer comme le héro du film, réalise qu’il doit vivre pour transmettre ses valeurs et que mourir pour l’honneur ne veut plus rien dire dans cette nouvelle époque (très belle scène finale où, contrairement aux codes du genre, il refuse de tuer l’assassin de son maitre***).

« Les derniers Samouraïs » montre également tout le savoir faire de Misumi , alternant moments intimistes et grandes scènes de batailles. Comme dans tous ses films les combats sont réglés au millimètre et proposent de véritables moments d’anthologies. La musique, composée par Akira Ifubuke, se la joue Western crépusculaire histoire de compléter le tableau. Etonnamment le film est assez peu considéré au Japon car étant produit par un autre studio que la « DAIEI », Misumi a du composer avec une équipe technique peu habituée aux Chambara. Si le film est peut être moins éblouissant formellement que « BabyCart 2 » ou « Tuer » (à débattre), il constitue néanmoins un des meilleurs films du genre, le dernier même. Car moins d’un an après la sortie du film Le Chambara disparaitra des salles de cinéma.


*Il était pourtant surnommé par ses pairs « le petit Mizoguchi ».

**60.000 japonais moururent en captivité.

***Joué par le tout jeune Ken Ogata pas encore révélé par Imamura.