choisie par Anne-Marie Soulier
VI HAR KANSKJE SOVET OSS GJENNOM LIVET
Vi har kanskje sovet oss gjennom livet
flakket søvngjengeraktig omkring fra kjærlighet til kjærlighet
mumlet oss inn i språkets allmakt
drømt oss mot virkeligheters utkant
glidd ut av døgnet, ut av decenniet.
Kanskje skal vi våkne opp på dødens terskel med asurøyne
med alle somrenes gulloblater i munnen
villig gi oss selv tilbake til jorden i gave
ja, vi vet det med sikkerhet nå: framtiden skal få oss
de umælende fårene og de varmekjære sikadene skal vitne om det og
fra offerstedets høyeste punkt
skal svarttrosten, uten en flekk av synd
synge og synge.
Torild Wardenær, Paradiseffekten (« L’effet de paradis »), H. Aschehoug & Co., Oslo, 2004, page 7.
NOUS AVONS PEUT-ÊTRE TRAVERSÉ LA VIE EN DORMANT
Nous avons peut-être traversé la vie en dormant,
somnambules errant d’un amour à l’autre,
bafouillant notre admission dans la toute-puissance du langage,
nous rêvant nous-mêmes jusqu’aux bords de la réalité,
glissant hors du cycle des jours, hors de la décennie.
Nous nous réveillerons peut-être au seuil de la mort avec des yeux d’azur,
avec dans la bouche les oboles d’or de tous les étés,
pour docilement nous rendre à la terre, comme un cadeau,
oui, nous en sommes sûrs maintenant : l’avenir nous prendra,
en témoigneront les moutons sans paroles, les cigales éprises de chaleur, et
du plus haut du lieu du sacrifice
le merle, pur de tout péché
chantera, chantera.
Torild Wardenær, in Trois poètes norvégiens, éditions du Murmure, Dijon, 2011. Traduction Anne-Marie Soulier.
TORILD WARDENÆR
Source
“Jeg forsøker å skrive verden frem, intet mindre enn verden.”
(Mens Higgsbosonet gnager, 2011)
« J’essaie de faire apparaître le monde en l’écrivant, rien de moins que le monde. »
Torild Wardenær est née le 30 novembre 1951 à Stavanger, petite ville portuaire du sud de la Norvège, où elle réside encore à ce jour.
Son entrée en poésie est inaugurée en 1994 avec la publication du recueil I Pionértiden (« Au temps des pionniers »), auquel fait bientôt suite Null komma to lux (« Zéro virgule deux lux », 1995), Houdini til minne (« En mémoire de Houdini », 1997), Døgndrift (« Dérive des jours et des nuits », 1998).
Non moins riche est la dernière décennie, avec Titanporten (« La Porte du Titan », 2001), Paradiseffekten (« L’Effet de Paradis », 2004), psi (2007), Mens Higgsbosonet gnager (mot à mot « Tandis que ronge le boson de Higgs », janvier 2011), Passord : Kairos (« Mot de passe : Kairos », 2013), tous encore inédits en France, à l’exception de quelques textes parus dans des revues.
Certains de ses poèmes ont fait partie de diverses performances et expositions de land art. Son œuvre a été couronnée en Scandinavie par plusieurs prix de poésie prestigieux.
Les titres de ses recueils disent assez le vif intérêt de Torild Wardenær pour l’exploration inlassable des mythologies comme des sciences dites exactes – domaine au demeurant rarement perçu comme « poétique » – voyages dont elle revient riche d’inépuisables tensions entre le monde physique et l’univers métaphysique.
Sorcière à la chevelure « comme une meule de foin », aux rotules « pleines de sérum et d’argent », elle va et vient dans un temps « entre l’enfance et le royaume de Dieu », reçoit de l’au-delà des recettes de vie drolatiques, avale les étoiles « crues », et fait assez confiance à « la toute-puissance du langage » pour haranguer des foules rétives et écrire en secret à Guillaume Apollinaire.
Sourcière secourue par sa seule intuition, elle ne s’interdit aucune époque ni aucune géographie, pourvu qu’elle y déniche des eaux vivaces, des oiseaux bavards, des éclosions inédites, de quoi nous convaincre enfin que science et poésie sont également spéculatives, et donc étrangement spéculaires.
(notice d’Anne-Marie Soulier)
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