[HORMIS LES LÈVRES OÙ MOURIR]
H ormis les lèvres où mourir.
Hormis le seuil
(et sa pierre bafouée).
Hormis la porte
(et ses vitres de verre
- caillassées dans la nuit).
À la lisière de la forêt de hêtres, un inaudible dialogue :
- Avez-vous vu le choucas tirer les feuillets du pierrier ?
- En équilibre entre deux branches hautes d'un arbre,
j'ai vu, oui, un livre inachevé dont les sept cahiers étaient
cousus par les très fines brindilles jaunes d'un signe.
- Que dit ce livre ?
- Le tourment d'un récit.
- Qui l'a écrit ?
- Une voix perdue.
- Quelle est la première phrase du livre ?
- Celle survivante d'une blessure.
- Et la dernière phrase du livre ?
- Celle d'une énième répétition bégayée de la première ?
- Tel, sûr hélas de ce qu'il avait vu, le choucas replia
ses ailes et se jeta dans le vide ?
- Oui, telle la luciole qui sans cesse va vient d'un côté
l'autre du chemin.
- Quel est le tracé du chemin ?
- Une ligne de fuite.
- Où conduit-elle ?
- Aux tremblants pétales du coquelicot.
- Tel le signet virevoltant dans la nuit ?
- Tel, oui, le visage qui s'efface à contre-jour de la
lumière d'une lampe - condamnée à brûler.
- Tel votre visage ?
-Tel votre visage, oui.
Ah forêtAh forêt-de-hêtres
Ah hache dans l'écor-
ce
Julien Bosc,
De la poussière sur vos cils, Éditions la tête à l'envers, 58330 Crux-la-Ville, 2015, pp. 41-42.