Julien Bosc | [Hormis les lèvres où mourir]

Publié le 03 décembre 2015 par Angèle Paoli

[HORMIS LES LÈVRES OÙ MOURIR]
H ormis les lèvres où mourir.
Hormis le seuil
(et sa pierre bafouée).
Hormis la porte
(et ses vitres de verre
- caillassées dans la nuit).

À la lisière de la forêt de hêtres, un inaudible dialogue :

- Avez-vous vu le choucas tirer les feuillets du pierrier ?

- En équilibre entre deux branches hautes d'un arbre,
j'ai vu, oui, un livre inachevé dont les sept cahiers étaient
cousus par les très fines brindilles jaunes d'un signe.

- Que dit ce livre ?

- Le tourment d'un récit.

- Qui l'a écrit ?

- Une voix perdue.

- Quelle est la première phrase du livre ?

- Celle survivante d'une blessure.

- Et la dernière phrase du livre ?

- Celle d'une énième répétition bégayée de la première ?

- Tel, sûr hélas de ce qu'il avait vu, le choucas replia
ses ailes et se jeta dans le vide ?

- Oui, telle la luciole qui sans cesse va vient d'un côté
l'autre du chemin.

- Quel est le tracé du chemin ?

- Une ligne de fuite.

- Où conduit-elle ?

- Aux tremblants pétales du coquelicot.

- Tel le signet virevoltant dans la nuit ?

- Tel, oui, le visage qui s'efface à contre-jour de la
lumière d'une lampe - condamnée à brûler.

- Tel votre visage ?

-Tel votre visage, oui.

Ah forêt

Ah forêt-de-hêtres

Ah hache dans l'écor-

ce

Julien Bosc,
De la poussière sur vos cils, Éditions la tête à l'envers, 58330 Crux-la-Ville, 2015, pp. 41-42.