Une aventure du Père Noël ou Noël sous la pleine lune
Quitter la banquise, la nuit polaire, les vastes étendues vierges pour, arrivé en Europe, se guider aux étoiles, sans la neige pour les refléter, vous avouerez qu’il y a de quoi perturber le plus sage et le plus patient des vieillards.
Habituellement, lorsque la neige accompagne son long voyage, tandis que les rennes secouent pompons et clochettes avec le rythme enjoué qu’impose la tradition, l’ancêtre observe. Il s’intéresse, s’emplit l’âme de toutes les beautés qu’il survole. Chaque année il découvre quelques nouveaux détails à ajouter à sa liste des merveilles de la nature et de la créativité des sociétés humaines. Informations qu’il partage en secret avec Stéphane Bern pour l’aider à réaliser ses émissions autour des plus beaux villages ou monuments de France.
Mais ce Noël 2015, sans neige sur le plancher des vaches, le noir, le noir, encore le noir ; l’ombre, l’ombre, les ombres. Rien pour égayer le long voyage.
Bercé par la monotonie, il s’était endormi et ronflotait doucement dans le ciel.
La lune qui s’était fait pleine exprès pour la nuit de Noël, c’est si rare, était contrariée. Pas question pour elle cette année de forcer l’admiration du monde en laissant les reflets de sa chevelure d’argent caresser la Terre.
Pourtant, comme cela aurait été joli d’illuminer la crèche, de laisser couler ses rayons entre l’âne et le bœuf, de magnifier cette nuit déjà si sanctifiée. Quarante ans d’attente et voilà que tous ses plans étaient anéantis.
Tant de répétition, tant de mise au point, tant de rêves réduits à néant.
La vieille Dame s’était mise à pleurer, à hoqueter, à se plaindre. Du plus haut du ciel, on l’entendait crachoter, renifler. Au moins cela manquait de grâce, au pire c’était insupportable. Tellement insoutenable que cela avait réveillé le vieux.
Tout contrarié qu’il était lui aussi à cause de l’absence de neige, il s’était fâché :
- « Un peu de tenue, cré vin diou ! est-ce qu’on s’écervelle à vouloir se pavaner quand le monde s’écroule et que le réchauffement climatique s’impose goujatement à la fête ?»
- « Quarante ans que j’attends, quarante ans, tu te rends compte ? je me faisais une telle joie ! »
- « Et moi donc ! est-ce que je pleure alors qu’il va me falloir chercher à tâtons les cheminées dans le noir ? alors que j’aurais tant besoin de nouvelles lunettes ? »
Je pourrais continuer à relater leurs échanges, mais cela n’aurait aucun intérêt pour vous et n’apporterait rien de plus à l’histoire. Sachez qu’ils étaient là, à tant se disputer que les rennes, grands amateurs d’harmonie, en perdirent le Nord. La tournée s’annonçait mal ce qui s’avéra par la suite.
La distribution fut opérée dans un cafouillis extrême. Quelques erreurs furent rattrapées de justesse. Le vieux eut même toutes les peines du monde à s’extraire d’un conduit de cheminée de toute évidence bien trop étroit pour sa taille. Mais, à sa décharge, comment pouvait-il garder l’esprit clair quand la Lune devenait chaque instant de plus en plus exaspérante ?
Quelle étrange cacophonie dans la bouche d’une presque déesse.
Les rennes étaient pris de nervosisme. Le tintement des clochettes qu’ils aimaient tant leur était dès lors insupportable. Très vite l’aventure vira au cauchemar, il y eut un accident.
Nul ne saurait en dire précisément les circonstances, mais au hasard d’un virage un peu brusque, en abordant le toit d’un immeuble, voilà que le vieux avait été projeté par une fenêtre ouverte, dans un appartement où il n’y avait même pas d’enfant.
Il y avait là deux ou trois matous qui s’ennuyaient dans la nuit presque noire, en reluquant un sapin de Noël factice mais illuminé, installé sur un suspensoir à plante et tout chargé de boules aussi attrayantes qu’inaccessibles.
En voyant surgir le bonhomme Noël, tout rouge et tout essoufflé, en roulé-boulé dans le salon, pris de frayeur, ils se mirent à cracher et toutes griffes dehors ils poursuivirent le vieux qui n’eut d’autre solution que de grimper dans l’arbre et de se réfugier parmi les guirlandes.
Les trois matous postés au sol, têtes levées, ne le quittaient pas du regard. Ils attendaient que le suspensoir, qui grinçait de façon inquiétante, cède sous son poids. Patience féline !
Le vieux bonhomme Noël, avec l’ardeur du désespoir, se mit à siffler ses rennes tandis que la lune intriguée s’était tue et observait avec grand intérêt la scène par la fenêtre.
Lorsque le suspensoir céda, les rennes qui avaient eu quelques difficultés à se positionner venaient juste de se placer à la fenêtre. Le père Noël, sans demander son reste, fila comme une étoile jusqu’au chariot qui disparut aussitôt dans la nuit.
La Lune avait retrouvé sa bonne humeur, elle riait, mais pas trop fort car le bonhomme fulminait.
Les chats, vite remis de leur frayeur, jouèrent comme des fous avec les boules du sapin durant tout le restant de la nuit.
Au petit matin, (ce que c’est que l’injustice !) les maîtres de la maison voyant le sapin au sol, grondèrent les chats qui furent accusés du forfait.
Mais les chats, en leur grande sagesse, gardèrent le silence.
Qui aurait cru une telle histoire ?
Adamante (sacem)