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Esther Tellermann, Sous votre nom par Matthieu Gosztola

Publié le 06 janvier 2016 par Angèle Paoli

E sther Tellermann interroge dans ses recueils de poèmes - ainsi dans Sous votre nom - la surprise trouble de ce qui est, trouble éclatant, et qui confine à la beauté la plus sauvage, c'est-à-dire la plus évidente, à la beauté telle que les Grecs l'ont érigée, telle qu'ils l'ont reconnue, telle qu'ils l'ont sauvée.

" Les Grecs ", écrit Jean-Marie Pontévia dans Tout a peut-être commencé par la beauté (William Blake And Co, 1985), " ont inventé une façon d'être au monde qui pourrait se dire "être-dans-la-beauté" : ils ont saisi l'Être en tant que Beauté, c'est-à-dire dans un mode particulier de la Présence. Ils ont éprouvé l'apparence comme resplendissante et ravissante [...], comme saisissante. C'est dire qu'ils ont accordé un privilège à tout ce qui, dans l'apparence, brille, scintille, étincelle, resplendit, mais on aurait tort de croire un peu vite que c'est là un trait de naïveté primitive ; c'est nous qui sommes des primitifs, de croire que seul l'or brille. Pour les Grecs l'éclat de l'apparence était perceptible là où nous ne le soupçonnons même pas. "

Cet éclat de l'apparence, éclat pluriel et renversant, littéralement désarçonnant, est visible partout dans le réel lorsque celui-ci est vraiment (c'est-à-dire avec la vérité propre à notre expérience d'avant les dogmes, d'avant les topoï) senti, ressenti, pesé, vécu. Autrement dit par la grâce de l'être aimé (par la grâce - vraie grâce - non de l'amour mais de l'être aimé) ; être vrai - et éprouvé comme tel - (véritable un, face à la multitude) qui agrandit notre regard, en agrandissant le trouble que vivent nos yeux, autrement dit en agrandissant le souffle - trajectoire intérieure, trajectoire intime - que nos yeux font résonner de mille et une couleurs, cela en vivant, de mille et une nuances de noir, aussi, ainsi que nous le confie, d'implicite manière, tout au long de son recueil, Esther Tellermann.

Et les poèmes de cette auteure sont des stèles, de véritables stèles faisant réponse au " grand réel " : à l'éclat de l'apparence, à l'éclat trouble du mystère (seule apparence) donné à notre vie des mains de l'être aimé, Esther Tellermann se plaçant dans la lignée de Jean-Paul Michel, de ses Écrits sur la poésie (Flammarion, 2013).

" J'appelle "Poème", écrit Jean-Paul Michel en ce volume, toute manière humaine de faire face au grand réel ; tout geste esquissé pour lui répondre, toute forme risquée pour lui donner contrepartie. Marques, bornes, menhirs, totems, cippes, stèles, la danse et le chant, les peintures tégumentaires, la coiffure, le vêtement, le cérémonial de chaque jour - les livres : autant de voies pour cet affrontement d'impossible en face. Ces sorcelleries font signe vers la nécessité de nous détourner de ce qui serait funeste. Elles parient avec audace sur une augmentation possible de ce qui est. "

Quelques poèmes ravis au bel ensemble qu'est Sous votre nom :

Jours firent

de toi

ma teinture où

j'épuisais le monde

lunes mouillées avaient

la rondeur

des sommeils

je comptais les passages

pour que reviennent

la vigne le bleu

des univers

dessinais

votre cœur.

Des fenêtres qui

bourdonnent

refont la durée.

*

M'avait-il donné

l'empreinte

de sa tempe

un mot que dépose

une pluie ?

Un instant une

syllabe

une ville

autrement

des sillons dans

les soirs

puis tout à coup

se retire

votre nuit

qui m'éveille.

*

C'est vrai

je voulais

épuiser ma cendre

ou peut-être

une nostalgie

des forêts

des silences

où s'enfouissent

les morts que séparent

les voix.

Nous voici

étrécis dans

le bleu

où sombre

ce qui

chante.

*

Nous nous étions

parcourus

l'un l'autre

en nos paumes

parlions de neige et

de souffle

et comment s'allume

une chambre

ou encore

quelle mer

descend et nous

absout

nous rapatrie.


Matthieu Gosztola
D.R. Texte Matthieu Gosztola
pourTerres de femmes

Esther Tellermann,  Sous votre nom  par Matthieu Gosztola


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