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Une lumière dans la nuit

Publié le 11 janvier 2016 par Jlk

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Une lecture de La petite lumière d'Antonio Moresco
Un effroi d’enfance nous reprend parfois lorsque nous ouvrons les yeux dans le noir de la nuit, ou dans le silence blanc du jour, et c’est l’intense sensation physique, et métaphysique à la fois, qui nous saisit dès les premières pages de La petite lumière d’Antonio Moresco, qui ne nous quittera pas après avoir traversé ce livre ouvert entre deux infinis.

Le narrateur se trouve comme au bord du ciel, dans un hameau désert des monts boisés où il s’est retiré on ne sait pourquoi et d’où tous les soirs, la nuit venue, il aperçoit, au flanc de la montagne d’en face, une petite lumière. Et tout de suite cela nous parle, à l'intime, nous incitant alors à nous approprier personnellement le récit.

Je me suis donc rappelé, en lisant les premières pages de La petite lumière, cette nuit d’il y a une trentaine d’années où nous nous trouvions dans un tout petit refuge de montagne, avec des amis. Or, tandis qu’ils dormaient je m’étais relevé, bien après Minuit, attiré par je ne sais quoi sous la voûte prodigieusement étoilée formant comme un dôme au-dessus des rochers et des glaciers blêmes, jusqu’à la cime baignée là-haut de clarté lunaire ; et la sensation d’infini que j’éprouvais alors s’était mêlée à celle de n’être rien que chair mortelle; et je pensai aux cendres de notre ami que nous répandrions, le lendemain, du sommet de la montagne dans les couloirs verglacés de la face nord où, un mois plus tôt, notre compagnon de tant d’équipées s’était tué.

L’homme de La petite lumière s’est retrouvé là on ne sait pourquoi. Installé dans une maison de pierre et de bois au toit d’ardoises, il ne fait rien d’autre que songer et cheminer entre son logis et le petit cimetière aux lumignons, en contrebas, observant la nature avec une sorte d’attention exacerbée par ses poussées végétales et ses combats silencieux – on se rappelle, dans la foulée, le récit de Dino Buzzati évoquant les massacres muets qui se perpétuent, chaque nuit, entre insectes féroces et autres rongeurs sans pitié, dans les prairies aux airs tout sereins et bucoliques; et c’est dans l’inquiétante étrangeté de cedésert, au sens où l’entendaient ermites et moines d’antan, que, la nuit venue, le solitaire perçoit la petite lumière comme un signe de Dieu sait quoi.

L’homme étant ce qu’il est, sorti de la nature comme on sait, mais sans savoir pourquoi, voudrait le savoir cependant et s’expliquer, en l’occurrence, ce que signifie par exemple, là-bas, cette petite lumière.

Ainsi va-t-il aux renseignements, comme on dit. Or comme il y a, dans les environs, d’autres hameaux habités, il y va de son enquête, sans obtenir de réponse sur la nature de cette lumière, sinon d’un paysan à l'accent étranger ferré en matière de visiteurs de l’espace, qui a observé de ses yeux divers phénomènes dont l’apparition d’un grand œuf de lumière...

Mais c’est ensuite au lieu enfin repéré de la source de lumière, dans un hameau aussi désert que le sien, que le solitaire enquêteur découvre la vérité sur la source de la petite lumière, en la personne d’un enfant au crâne rasé dont la réserve farouche lui en en impose d'abord.

L’enfance de l’art requiert la plus grande simplicité, et l’on sait l’importance de l’Objet, qui a souvent valeur de symbole, dans les contes, et c’est tout l’art d’Antonio Moresco, de combiner, dans La petite lumière, qu’on pourrait relier à la filiation du réalisme magique, ou métaphysique, de la littérature ou de l’art italiens, un parfaite limpidité apparente, bien tangible et concrète, et comme nimbée de mystère et d’ombre éblouissante, si l’on ose dire, et les éléments tout à fait ordinaires et concrets d'un récit précis.

On pourrait dire aussi, pour creuser plus profond, que l’enfant de La petite lumière figure à la fois notre en deça et notre au-delà, la rencontre du protagoniste avec le petit garçon pouvant se lire, aussi, comme une rencontre avec ce que nous avons été où la projection de ce que nous serons dans quelque au-delà imaginaire.

« La petite lumière sera comme une luciole pour les lecteurs qui croient encore que la littérature est une entreprise dont la portés se mesure dans ses effets sur l’existence », lit-on sur la quatrième de couverture de ce grand petit livre traduit de l’italien de façon probe, sans enjoliver la langue-geste sans fioritures de Moresco, par Laurent Lombard, et l’on devrait en citer in extenso le vingt-quatrième de ses brefs chapitres (pp.106-107) pour mieux faire sentir l’effet possible de cette prose sur notre existence.

La petite lumière paraît, aux éditionsVerdier, dans la collection intitulée Terra d’altri, où l’on relève les noms de Francesco Biamonti et d’Erri De Luca,d’Elsa Morante ou de Mario Rigatoni Stern, entre autres « autres » terriens affiliés à ce que Georges Haldas appelait la « société des êtres ».

Or il faudra revenir sur le parcours singulier d’Antonio Moresco, dont vient de paraître un nouvel ouvrage traduit à la même enseigne, mais dans l’immédiat s’impose la citation du début de ce vingt-quatrième chapitre de La petite lumière, qui en indique assez la tonalité pascalienne et la tonne musicale particulière :
« Comment savoir si au-dessus du ciel il y a un autre ciel ? », je suis en train de me demander, assis devant le précipice. Du moins celui qu’on voit d’ici, de cette gorge, au-dessus de cet agglomérat de maisons et de ruines abandonnées. Comment savoir si la lumière n’est pas elle aussi à l’intérieur d’une autre lumière ? Et quelle lumière ça peut bien être, si c’est une lumière qu’on ne peut pas voir ? Si on ne peut même pas voir la lumière, qu’est-ce qu’on peut voir d’autre ? Comment savoir si la matière dont se compose l’univers, tout du moins le peu qu’on réussit à percevoir dans l’océan de la matière et de l’énergie noire, n’est pas à l’intérieur d’une autre matière infiniment plus grande, et si la matière et l’énergie noire ne sont pas à leur tour à l’intérieur d’une obscurité encore plus grande ? Comment savoir si la courbure de l’espace et du temps, si courbure il y a, si temps il y a, ne sont pas eux aussi à l’intérieur d’une courbure plus grande, un espace plus grand, un temps plus grand, qui vient avant, qui n’est pas encore venu ? Comment savoir pourquoi ça s’est arrangé comme ça, dans ce monde ? Est-ce que c’est comme ça partout, s’il y a un partout, dans ce déchaînement de petites lumières qui percent le noir dans cette nuit froide et dans l’obscurité la plus profonde ? »

Antonio Moresco. La petite lumière. Traduit de l’italien par Laurent Lombard. Verdier, coll. Terra d’altri, 122p.


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