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Gabrielle Althen, Soleil patient par Matthieu Gosztola

Publié le 13 janvier 2016 par Angèle Paoli

" C e livre, même s'il dit aussi la complexité ordinaire de l'expérience existentielle, voudrait évoquer un trajet, avance l'auteure dans un éclairant " En guise d'argument ". Un trajet qui aille du gris, peut-être erroné, du moment à quelque visite furtive du meilleur. Trouver manque, son premier titre, était une expression de ma mère. Bretonne, transplantée en Algérie, elle pouvait dire qu'elle trouvait manque des ciels mobiles de sa Bretagne natale. La langue lui eût permis de dire tout simplement qu'elle en manquait. Mais l'expression - venue d'où ? - qu'elle employait, dans le paradoxe qu'elle institue entre le fait de trouver et celui de manquer, possède un caractère actif qui me touche. Il y a une initiative dans trouver manque. Falloir, le second titre, correspond à une autre initiative. Celle de répondre. Continuer et se battre pour secouer la grisaille ? Sans doute. Bien davantage cependant s'appliquer, comme on entretient un feu, à mériter son désir. "

" [L]a poussière [...] commençant à nos cœurs ", la peine, la douleur apparaissent bien en premier (mais c'est pour que puisse avoir lieu - ensuite - la consolation) : " Choses noires avec choses blanches / Dans l'heure qui se tourmente / Le monde debout près de la peur [...] ". " Tu appartiens à ta douleur ". " [A]imes-tu encore ton corps qui se délabre ? " " Il n'y a là aucun salut / C'est un oubli de la lumière ! "

" La lumière est certaine mais elle est en voyage ". Quelle posture adopter, en conséquence ? Faire pousser des ombres ! " Je traversai la vitre et me baignai dans la couleur / Dans le jardin je fis pousser des ombres ". " Que la couleur me pardonne / J'ai fait pousser des ombres ! " " J'avais besoin de fleurs ". " J'étais venu pour du lilas ". " On a coupé tous les lilas ".

" Le soleil dort encore / Et la fleur tient son cœur ". Puis la lumière paraît, cette enfant. " Dans les bois de la lumière, marche un ange à la rencontre du moment, sceau sur le jour qui fléchit, sourire à l'ombre dans l'inattendu que d'aucuns croient blessure. " " Les pentes sont très douces et la clarté aussi ". " Amen dit la lumière de la lumière ". " Car chacun, vois-tu, habite son ogive. Malgré l'ombre, une musique s'y concentre et des soleils s'entrecroisent. On cherche des accords. Sans murmures, rayonnement pour rayonnement, le tout reste secret. "

Des larmes à la joie, des larmes au mystère : vivre ce trajet intérieur, jusqu'à l'amour (" Repère les crissements de la neuve aventure, et si parfois l'espace manque, c'est que le cœur y est futur. " " La limpidité n'épelle pas ses chemins, bien que les signes ni ne manquent ni ne mentent. Vous parcourrez ainsi beaucoup de passerelles, puis ce sera l'amour. ")

Cela nous est possible grâce à la parole poétique (qui est notre " imperceptible clef de voûte "). Grâce à ce feu. Grâce aux doigts fous, amoureux, du vent (notre sensibilité), qui jouent, tendres, dans la chevelure de ce métaphorique (mais non moins vécu) feu.

Si le feu qu'est la parole poétique est vécu, c'est parce qu'il n'est pas donné. Il est à construire. C'est-à-dire à recevoir (activement), avec une disposition d'accueil de tout l'être, avec une écoute sans limites données à la profondeur de cette dernière. " Nous avions il est vrai revêtu d'implacables prisons / Dans l'anfractuosité de nos phrases banales ". " Il n'y a pas encore de mots à l'horizon. " " Un mot / Pour attirer la foudre / Dans le gris sans éperons du moment ". " Des perles manquent au chapelet de la parole ". " J'ai prié / Pour que / Chaque jour la parole m'éveille ".

Cette parole poétique, Gabrielle Althen (dont il faut lire également les très beaux essais que sont Proximité du Sphinx, Intertextes, 1991 -, Dostoïevski, le meurtre et l'espérance, Le Cerf, 2006 - et La Splendeur et l'Écharde, Corlevour, 2012), Gabrielle Althen l' abreuve au moyen (la liste n'est point exhaustive) de la mythologie, de l'Antiquité, des contes, d'une forme réinventée de la ballade, d'allusions faites à Rimbaud (" Autres saisons, autres châteaux. ", " Au-dessus de la chance perdue des saisons de l'offense, la danse surélevant ses lignes où des ponts se parlaient. "...) ; elle l'abreuve et l' ouvrage (écrire : " nous étions la table où s'enfante le jour " ; " [l]a liberté fut nue sur la table du jour ") en se servant des outils de haute valeur et fort difficiles à manier que sont la formule (sa justesse, sa précision) et la beauté onirique, imprécise du rêve, se situant ainsi bellement, et de frappante manière, en ce recueil, à mi-chemin entre René Char (qu'elle a connu dès 1974) et Georges Schehadé.


Matthieu Gosztola
D.R. Texte Matthieu Gosztola
pourTerres de femmes

Gabrielle Althen,  Soleil patient par Matthieu Gosztola


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