La laisser s’éloigner

Quand je repense à la première année de Rose, je nous vois toutes les deux, presque comme une seule personne. Elle faisait partie de moi. Les premiers mois, blottie contre mon épaule, et puis ensuite à côté de moi, mais toujours proche. Nous étions toutes les deux, la mère et la fille. Bien sûr, son papa s’occupait beaucoup d’elle, Rose rencontrait d’autres adultes et d’autres enfants, mais enfin, c’était mon bébé. C’est une phrase que je me souviens avoir prononcé dans les semaines qui ont suivi sa naissance : « Oui, c’est notre enfant, mais c’est mon bébé ». Oui, elle était notre petite fille à tous les deux, mais je savais que pour quelques mois, nous allions être là l’une pour l’autre, presque en exclusivité.

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Ce temps est révolu depuis bien longtemps. Nous en avons toutes les deux eu marre d’être collées, nous avons toutes les deux eu envie d’élargir notre horizon. Mais depuis peu, il s’opère un nouveau tournant. J’ai du mal à poser des mots dessus tant c’est de l’ordre du ressenti.

Je le vois, je le sens, Rose prend vraiment le large. Elle est prête, plus que moi apparemment, et installe ses distances. Non, elle n’est plus mon bébé, elle est une petite fille. Elle investie de plus en plus la relation avec son papa, instaure de nouveaux rituels avec lui. Elle décide qui elle veut pour telle activité ou tel moment de sa journée. Elle apprend qu’elle peut décider, nous dire oui ou non, et que souvent nous la laissons faire. Alors, elle contrôle son petit monde, dispute ses poupées puis les console, veut son papa pour aller au lit mais sa maman pour le dîner. Rose découvre quelle petite personne elle est, et nous le fait savoir ! Chaque moment du quotidien est l’occasion de tester sa nouvelle autorité, et de nous faire parfois tourner en bourrique.

Je n’ai pas compris tout de suite ce qui se jouait pour elle. J’ai d’abord eu des pincements au coeur (parfois carrément des coups de poing) de la voir me dire non, me repousser d’un geste quand je venais lui faire un bisou, ou refuser catégoriquement que je lui chante notre chanson du soir. Où était passée ma petite fille pour qui j’étais tout ou presque ? J’ai donc commencé par le prendre pour moi, par chercher ce que j’avais fais de mal. Bref, j’ai culpabilisé, comme toute maman qui se respecte. Puis j’ai compris que je n’y étais pas pour grand chose. Et peut-être même que c’était le signe que j’avais fais du bon boulot, que ma petite Rose avait pu absorber tout l’amour et la confiance en elle que j’avais tenté de lui transmettre pendant des mois, s’en était gonflée et l’utilisait aujourd’hui pour prendre son autonomie.

Alors maintenant j’attends. J’attends qu’elle aille au bout de son nouveau pouvoir. Je la laisse diriger les opérations quand cela ne met pas en danger notre équilibre et les valeurs importantes de notre famille. Je la laisse me dire non quand je peux l’accepter. Je fais front quand je considère que cette fois je ne dois pas céder. Et puis j’espère qu’elle reviendra apaisée, que nous pourrons reprendre nos rituels, réinventer une relation de maman et de petite fille, en laissant derrière nous celle de maman et de bébé. Je profite quand même de sa petite fatigue du soir, qui fait qu’elle vient se blottir contre moi avec sa tétine dans la bouche et son doudou dans une main, comme la toute petite qu’elle est quand même encore.

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C’est quelque chose qu’on entend souvent : qu’on élève pas des enfants pour les garder pour soi, mais au contraire pour leur permettre de nous quitter. Le travail du parent c’est de donner des ailes à son petit, pour qu’il puisse partir. Oui, bah c’est facile à dire, mais la première fois que notre enfant les utilise ses petites ailes, ça fait quand même un peu mal. Mais j’ai compris maintenant, et je vais regarder Rose faire ses premiers envols. De toute façon, le grand départ n’est pas pour tout de suite, et elle a encore bien besoin de sa maman, pour mon plus grand bonheur.

Et vous, vous avez eu ce genre de ressentis ? Comment vous l’avez vécu ?