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Estelle Fenzy, Rouge vive par Angèle Paoli

Publié le 21 janvier 2016 par Angèle Paoli

ROUGE VIVE, UNE BROCÉLIANDE AMOUREUSE ET SAUVAGE

J' ai reçu tout récemment le dernier recueil d'Estelle Fenzy : Rouge vive. Je l'attendais. Pelotonnée dans mes laines, je l'ai lu d'une traite. Et relu. En frissonnant. Avec fébrilité. Avec tendresse et crainte aussi. Estelle Fenzy excelle dans ces vers. Naturelle et profonde, sa parole poétique est belle et pure. Envoûtante.

Des voix se coulent, qui s'entrelacent dans une double attente, visible à l'œil. Soudain, après les poèmes qui préludent au conte, les italiques apparaissent. Le narrateur solitaire, dans son demi-sommeil, " convoie des rumeurs ". Qui sont-elles ? Quel secret est le leur ? Elles prennent les intonations d'une voix de femme. Qui confie son passé meurtri de morts marqué de sang. Rouge vive. Vivante parmi les morts, " cette femme au visage froissé " visite le rêveur et hante sa mémoire. " Qui était cette femme " ? " Je ne m'en souviens plus ". La poète interroge l'énigme. S'exhument au fil des pages des pans d'histoire d'un passé dont la poète est issue. Une histoire de guerre et d'amour spolié. La beauté énigmatique de ces pages aux poèmes brefs se nourrit du mystère d'une écriture qui s'ancre en un lieu à la fois précis et flottant, qui évoque les paysages hypnotiques du conte :

" C'est une vaste terre

de fougères et de pins

une forêt de profondeurs

arasée de ténèbres "

On y trouve une forêt, baignée en son centre d'une rivière. Des " berges friables " et des " roseaux " protecteurs. Faut-il franchir le " ponton du sommeil ", écarter les " lianes qui reptilent ", pour que la rencontre puisse avoir lieu ? Elle a lieu dans la solitude. Un soir de juillet. Elle est rencontre avec l'enfance.

Les poèmes en italiques accompagnent la voix qui confie un passé de femme endeuillée par la mort du " promis " emporté sous la mitraille :

" Je suis la dépossédée "

Peut-être cette femme est-elle la même que cette " aïeule " qui conduit le jeune homme aux abords de son secret ? Jeu de doubles hélices qui s'interpellent et se répondent dans la douleur et dans les blessures non cicatrisées :

" Elle ne voulait pas voir

l'échappée de lumière

au milieu de son deuil "

" Rejoindra-t-elle ce soir

mon piège de douleur

Entendra-t-elle

l'émeute de mes plaies

ma spoliation d'amour "

Les histoires se recoupent, qui entremêlent souvenirs et absences. Le sang était là, contenu dans le titre. Présence implicite qui couve sous la cendre, annoncée dans une nuit de " lune pleine ", rencontrée par la suite sous la forme à peine déguisée des " rosiers sauvages ". Puis éclatante " sur le blanc de la neige... " " Éclosion d'incarnat ".

Les échos se poursuivent de part et d'autre du fil - " sourire rouge " " bouquet grenat " -, alternance des voix :

" La première fois

elle descendait vers la forêt "

" La première fois

J'allais à la forêt "

" Elle s'est blottie

dans l'étau de mes bras... "

" Il m'a guidée

vers son refuge

Maison tiède... "

Les gestes se rapprochent. L'énigme va-t-elle céder et laisser place à la lumière ? La fusion frôle, les histoires s'acheminent vers la rencontre de l'une avec l'autre. Peut-être vont-elles se rejoindre jusqu'à se fondre ? Le lecteur tremble, se perd dans cette brocéliande amoureuse et sauvage, qui se livre, cœur battant, dans " l'herbe fervente ", aux abords de " rosiers carmins ". Jusqu'au geste final. Inattendu ? Rêvé ? À moins qu'il ne s'agisse, comme l'ensemble du recueil, de la chanson de Nick Cave, Where the Wild Roses Grow, dont un couplet est mis en épigraphe dans le cahier de tête de l'ouvrage, chanson revisitée - excellemment - par la poète.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli

Estelle Fenzy, Rouge vive  par Angèle Paoli


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