Magazine Humeur

Tsunami occidental

Publié le 12 juin 2008 par Lili

Plantés et tassés comme des manchots par grand froid sur la banquise, prêts à sauter sur le premier poisson jouissant tranquillement de son bain frais de l’après midi, tous patientent encore quelques minutes avant l’arrivée de la rame du RER. Bientôt, il débouche en trombe le long de cette fausse banquise surchauffée. Les cheveux balayant votre visage, la violence du courant d’air vous piquant les yeux, vous vous préparez au tsunami. Dans un mouvement d’avant en arrière vous parvenez à vous stabiliser. A l’arrêt complet de l’appareil les portes s’ouvrent dans un pschiiiit assourdissant et une désagréable odeur de caoutchouc brûlé remonte dans vos narines.

A cet instant, vous le savez (vous pratiquez depuis des années !) mais cela vous surprend à chaque fois, une déferlante, contenue jusqu’à présent dans l’habitacle, explose à l’ouverture des portes. Provoquée par l’impérieux désir d’un troupeau d’humains de s’extraire de cet espace clos, une onde sous-marine déferle depuis le fond du wagon jusque sur le quai. Pour certains, disloquer l’inertie de cette masse compacte est devenu un enjeu crucial. Des individus jouant des épaules et des coudes tentent de s’extirper de cet espace confiné. Leur ténacité porte enfin ses fruits lorsque soudain, cette vague bouillonnante s’éclate, se désolidarise de manière anarchique. Pour d’autres, la résistance devient obsessionnelle, ils s’acharnent à éviter de descendre une station trop tôt en se cramponnant furieusement à la porte. En vain ! Sortir du wagon devient une nécessité pour éviter un piétinement certain.

Veuillez laisser descendre avant de monter

Tu parles on n’a pas le choix !

A cet instant précis, une réorganisation instinctive, répondant à la nécessité naturelle d'une réappropriation de l’espace, s’engage rapidement. Les sièges libérés n’ont pas le temps de refroidir, des hommes, des femmes se glissent dans les allées, d’autres se collent au fond contre la porte d’en face, et ceux qui n’ont pas été assez rapides, les hésitants, les non pratiquants du RER, furieux, font demi-tour sur eux-mêmes, soupirent, gémissent. Cette femme desserre son écharpe, cet homme respire à grandes bouffées le peu d’air renouvelé en quelques secondes.

Ce répit est de courte durée, bientôt, le courant retenu un moment sur le quai, s'engouffre dans cet espace laissé à l'abandon!

La nature a horreur du vide !

Vous ne faites plus qu’un avec la foule s’engouffrant dans la rame. Vous n’avez plus aucun contrôle. A droite, à gauche, au centre, vous êtes projeté vers un grand jeune homme, puis contre la barre de l’espace central, votre sac coincé entre deux flancs masculins, puis repoussé encore vers les strapontins. Au moins vous êtes calé ! La sonnerie retentit, des corps s’agglutinent encore sur le marchepied, se pressent et parviennent à se maintenir dans la rame en rentrant des ventres bedonnants. Les portes, maintenues par des assistants d'aide à la régulation, se referment alors en un claquement aigu.

Pas le moindre espace vital autour de soi. La solitude ne vous avait jamais envahie avec une telle force. Etre assimilé au grain de sable déversé sur une plage par le ressac, tel un électron dans un accélérateur de particules. Les bras le long du corps, vous êtes immobile, vous maintenez votre sac sur la hanche. Et vous patientez…Vous ressentez une légère démangeaison dans la nuque, la chaleur…. Vous vous forcez à oublier, vous ne pouvez mouvoir aucune de vos mains. Plus vous résistez et plus cette démangeaison se fait présente, languissante, une envie folle de frotter votre peau irritée vous empoigne, c’est intolérable, mais bientôt, vous le savez, le train ralentira, la prochaine station vous libérera de cet inconfort.

Le train ralentit.

Attention ! Ne pas se laisser surprendre ! Eviter d’être refoulée sur le sable par la vague de sortie. Cramponnez-vous, ça freine ! Vous apercevez avec effroi la colonie de fourmis scotchée sur le quai. Vigilance extrême ! Châtelet, les Halles, la station de tous les dangers, station de test. Si vous parvenez à résister, vous résisterez à toutes les autres. Cette fois vous n’avez pas réagi assez vite face à ce grand gaillard costaud dont les larges épaules vous ont entraîné vers le quai, vous avez tenté de translater, mais au même moment, une femme nerveuse et énergique ou bien stressée par ces conditions étouffantes vous bouscule dans l’autre sens. C’est terminé, Game over! Cette fois, victime du tsunami, il vous a happée sans scrupule !

Hébété sur le quai au milieu d’une autre foule, vous vous promettez que plus rien ne vous empêchera de monter et de rester dans la prochaine rame jusqu’à votre grande destination finale, La Défense ! Quel nom prédestiné.

Bon voyage !


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