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Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo par Marie-Hélène Prouteau

Publié le 23 janvier 2016 par Angèle Paoli

Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo,
éditions Panafrika | Silex-Nouvelles du Sud, 2013 ;
seconde édition mai 2014.

Lecture de Marie-Hélène Prouteau

C e livre, Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo, se présente comme une sorte d'anthologie poétique autour de ce " contemporain capital " qu'est Nelson Mandela.

Les éditions Panafrika | Silex-Nouvelles du Sud qui le publient se situent dans la continuité des publications des éditions Silex. Cette maison a été fondée à Paris en 1980 par le poète Paul Dakeyo. Celui-ci est un des premiers parmi les écrivains de langue française, à avoir livré, en 1977, une " parole en colère ", dans le recueil Soleils fusillés consacré aux enfants massacrés de Soweto. Cette veine engagée se retrouve ici dans cet hommage où il réunit cinquante poètes de diverses générations et de divers pays d'Afrique noire, du Maghreb, des Antilles, comme de Belgique, de France et de Suisse.

Cette somme poétique de 368 pages s'ouvre sur une introduction pleine de ferveur de Jean-Damien Roumieu. Viennent ensuite les " Regards croisés " de Marie-José Hoyet et de Pius Ngandu Nkashama, qui inscrivent ce livre dans son arrière-plan culturel et historique (tableaux de sang brûlants de Sharpeville, enfants martyrisés de Soweto, arrestations diverses, supplice de Steve Biko, le leader de Black Consciousness Movement). Le livre est ensuite construit autour des " Poèmes ", chaque auteur étant présenté par une brève biographie.

Le mérite de cette anthologie est de faire entendre des voix plurielles, généreuses, de poètes connus et d'autres peu connus ou ayant peu publié.

Il en ressort une série de différents visages de Nelson Mandela qui s'emboîtent comme des poupées russes. Ainsi l'enfant du pays xhosa, l'étudiant formé à la culture européenne, l'avocat qui apprend le droit à Johannesburg, le dirigeant de la nation arc-en-ciel, l'acteur de la réconciliation, le sage imprégné de l'ubuntu, cet idéal xhosa qu'évoque Christophe Forgeot : " Je suis parce que nous sommes ".

Sur le prisonnier de Robben Island, on lit, ému, le poème " Le Cap de Désespérance " du Mauricien Edouard Maunick. Et puis le superbe " J'appartiens au grand jour ", où Paul Dakeyo fait revenir ce vers : " Envoyez-moi des nouvelles ", refrain qui résonne dans le silence de la prison.

Mais le fil directeur du livre tient à la grandeur de l'icône, porte-parole de tous les hommes de couleur bafoués, et finalement de tous les hommes. Bruno Grégoire rappelle le propos fondateur de Mandela : " Je me suis battu contre la domination blanche. Et je me suis battu contre la domination noire ". À travers des textes, pour certains datés, " Paris 1996 ", " Dakar 1982 ", " Lomé 2010 ", il est touchant de voir mise en mots, au cœur du poème, la longue mise en souffrance et en épreuve de Mandela.

Nelson Mandela est fait pour les puissantes images épiques, Gandhi, Luther King (Barnabé Laye), Malcom X (Edouard Maunick), Toussaint Louverture (Jean Métellus, Josué Guébo), Lumumba (Jean-Claude Awono), Victor Hugo (Philippe Cantraine), figure christique (Joachim Paulin). Une contribution d'un autre genre nous vient d'André Benedetto, pilier du off d'Avignon, qui nous livre ici une scène entre le président Botha et le chef Buthélézi. Texte de théâtre qui fait vivre l'invincible résistance de Mandela qui a toujours refusé de marchander sa libération.

Tous les réseaux possibles d'images traversent les langues, les époques, les tragédies - la traite négrière des ports de Nantes et Bordeaux et les forfaits de la colonisation des Boers se font écho - et prennent les dimensions amplifiées de la planète entière. Mandela se voit assimilé dans l'imaginaire à un arbre puissant, " cèdre tutélaire " pour Jean-Damien Roumieu. Le poète Francis Combes le voit ainsi :

" Un baobab est en prison

interdit de lumière

Mais dans l'ombre il grandit

il prend de plus en plus de place... "

C'est la réserve de symboles et d'images de l'histoire des peuples noirs qui se trouve ainsi mise en avant.

Yasmina Kadra élargit même la vision dans le poème " Afrique " aux maux de ce continent, " l'imposture... l'éloge des tyrans " qui ronge certains régimes du continent noir. Élargissement aussi à " la saison blanche et sèche " de l'écrivain André Brink, que convoque le poète Joachim Paulin.

Pour faire pendant à l'horreur de l'apartheid et au combat de Mandela, il fallait ce flux pressant, puissant de l'oralité. Apostrophe, invocation, incantation pour dire la colère et la joie.

Nombreux sont les poèmes qui prennent une forme parlée ou chantée, hymne à l'otage de Robben island (Aminata Barry), ode (Suzanne Dracius), " danse makossa ", " chant haïtien ", " chant en wolof ", " ballade des shantis ".

C'est la lutte infatigable de Nelson Mandela pour la liberté qui le rend fraternel à tous. L'aventure intérieure hors norme d'une figure à la fois héroïque et profondément humaine est ici restituée. Chercher l'homme sous l'icône, c'est ce que font les poètes Adamante et Aminata Barry. La première évoque cette vie qui manque à la vie, dans l'infini du temps geôlier :

" loin des caresses

loin des émois

avec seule

la mémoire

brûlante "

La poète guinéenne saisit, elle, la métamorphose qui se joue dans l'expérience immense de l'enfermement :

" Robben Island, le châtiment ?

Non ! la discipline

Un lieu de transformation

D'élévation spirituelle [...]

Tu n'as jamais été aussi libre que sur ce lieu hostile ".

Une autre dimension est aussi présente dans plusieurs poèmes : une certaine musique triste. Le lyrisme des poètes qui ont quitté l'Afrique et leur propre pays, comme le poète togolais Jean-Jacques Dabla :

" Tu aurais pu

Comme nous autres partir

Fuyards mutiques "

Il faut alors entendre la mauvaise conscience, la blessure et le regret qui imprègnent ces poèmes.

Habité d'un vrai souffle, Monsieur Mandela est un beau livre de témoignages et d'hommages dans la voix du poème. Il palpite de la force toujours vivante de celui qui fut la sentinelle de l'humanité.

Marie-Hélène Prouteau
D.R. Marie-Hélène Prouteau
pourTerres de femmes

Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo     par Marie-Hélène Prouteau


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