Génies toqués. - Le vrai travail est le meilleur avant l’ouverture des guichets, avant que les oiseaux ne prennent le relais des grillons, dans le silence chaste précédant les glossolalies, avec cette présence encore du sommeil et de ses fantômes en leur théâtre d’extrême intimité souvent incongrue mais non sans humour, à fleur de mots à peine exprimables et surtout pas dans le langage de Freud (sauf quand il délire) et de ses bandes sectaires.
Louis Soutter construit sa cabane d’encre dans les bois de la ville-monde, et la prudence requise pour le suivre doit être vive car ses câbles de soutènement sont électrifiés et l’on se signera en passant devant les croix que forment les échafauds et les échafaudages portant ses Christs et ses femmes de désir.
Or, du fond de mon rêve d’avant l’aube, ce même désir de cabane follement présente au cœur de ma ville-monde me poursuit en dépit d’une vie encore mille fois trop soumises aux « forces extérieures ». D’où mon recours magique aux petites fées en robes de soie salivée par les fines fines araignées du soir (espoir) et du matin (mutin) qui inspirent le salut de Guido Ceronetti (Ho visto un ragno / nella gioia mi bagno) , les petites filles en fleur ici piégées dans les rets de Soutter l’obscur.
De l'obscur. – Le seul fait d’écrire le mot OBSCUR me rappelle la scène du roman de Thomas Hardy qui évoque l’émerveillement du jeune protagoniste, la nuit sur la colline dominant son village natal, à scruter là-bas les lueurs de la grande ville.
Nous c’était les soirs de match, de l’autre côté des hauteurs boisées de notre ville, la clarté bleutée du stade éclairé dans la nuit lausannoise et la clameur annonçant que les nôtres avaient marqué. Mais de quoi nous réjouissions-nous donc dans notre obscurité ?
De la retenue. – Notre confrère Georges Baumgartner, au 59e étage du Club de la presse étrangère, à Tokyo, me disait que le journaliste nippon ne dit ordinairement que le 20% de ce qu’il sait.
Or je me reproche, pour ma part, de ne pas dire non plus tout ce que je sais ou que je pense, ma réserve représentant un bon solde de 20% au titre de la crainte de faire trop de vagues, du respect humain ou de la conscience aiguë du relativisme de tout jugement, du mépris pour les faiseurs qui se passe volontiers de commentaire, ou encore de la paresse, de l’indifférence et d’un je m’en fichisme « métaphysique » de plus ou moins bon aloi…
Images: L'isba vue d'en haut et le lac Léman; Adolf Wölfli et ses peintures; dessins de Louis Soutter.