Quitter Kigali par la route, c’est glisser insensiblement hors de la ville avec l’étrange impression d’y rester. En effet, l’habitat dispersé et le fait que la capitale soit construite au flanc de plusieurs collines dilue la notion de cité. Au détour de la route, on aperçoit une série de maisonnettes serrées les unes contre les autres qui pourraient être un quartier de Kigali et sont, en fait, un village totalement indépendant. L’hôtel des Mille-Collines, aujourd’hui propriété du groupe Kempinski et hier théâtre d’une extraordinaire résistance d’un groupe de Tutsis, protégés par le directeur de l’établissement au péril de sa propre vie – allez voir le film « Hôtel Rwanda » - est peut-être l’ultime borne urbaine.
Puis c’est la campagne. Les eucalyptus succèdent aux pins sur le bord des routes. J’ai entendu un jour raconter que c’était l’ancien président Juvénal Habyarimana qui avait exigé des paysans qu’ils plantent ces arbres pour compenser le défrichage des forêts au profit des cultures vivrières. À vérifier…
Par rapport à mon dernier voyage dans la région, il n’y a plus aucune maison abîmée. Toutes ont été reconstruites, crépies, peintes. Les toits de tôle sont bleus ou rouges, les jardins sont soignés et il n’est pas rare d’y voir d’énormes plants de datura en fleur, un poison violent ! Les maisons spacieuses ne sont pas rares, souvent perchées au sommet des collines, là où la fraîcheur vient du vent. À
Aucune terre n’est en friche. Des bananes, bien sûr, et du maïs, en bas desquels rampe le manioc. De temps en temps, des touffes compactes de vétiver laissent flotter une odeur râpeuse de chlorophylle. Et quand la voiture s’arrête par chance devant un frangipanier en fleur, tout l’habitacle est brusquement envahi de cette odeur sucrée, si familière en Afrique.
La route est longue de Kigali à Butare, le soir qui tombe efface une à une les collines. Un gris doux et bienveillant s’étend peu à peu, gommant les êtres et les choses avant que la nuit noire ne s’installe.