Bipolaire ! Bipolaire ! Est-ce que j’ai une gueule de bipolaire ?

Publié le 09 février 2016 par Lucie Léanne @lucieleanne75

Scène du film « Hôtel du Nord » *de Marcel Carné (1938). Arletty & Louis Jouvet


Je suis bipolaire
. Le rapport du psychiatre est formel. L’homme en blouse blanche me regarde, hautain. Je reste perplexe. L’air de la salle m’oppresse; cet air humide et confiné.
Je suis bipolaire et je n’ai encore rien dit.

Je suis bipolaire ? Quel scoop!

Le psychiatre se redresse sur son siège, toussote.

-Mme Léanne, savez-vous pourquoi je vous ai fait venir aujourd’hui ?

-Pour avoir mon avis sur la nouvelle couleur du papier peint ? Ah ! Celui aux tons pastels est fantastique, beaucoup plus doux. Parce que l’ancien, genre marron, couleur diarrhée, me donnait la nausée.

L’homme fronce les sourcils.

-Votre humour vous honore, Mme Léanne. Soyons sérieux, vous souffrez d’une psychose maniaco-dépressive.

Qu’est-ce que je fais ? Je le tue tout de suite ou j’attends la fin de la séance ?
L’atmosphère devient pesante subitement.

-Vous…

Je suis bipolaire, paraît-il, merci…

-Ecoutez, les tests que vous avez passés, dont le test bipolaire le prouvent. Mme Léanne, depuis quelques mois,  j’ai remarqué que vous aviez des troubles de l’humeur : un jour vous êtes déprimée, un autre, vous êtes très excitée, voire survoltée.

Je regarde l’homme, intriguée.

-Donnez-moi des exemples concrets.

La semaine dernière, vous êtes restée cloîtrée chez vous pendant trois jours, dans une armoire, avec un oeuf sur la tête, pleurant, très déprimée, et selon vos propos « au bord du suicide ».

-C’est vrai, je vous en ai parlé.

-J’étais très inquiet pour vous. Parce que ce jour-là, je n’ai pas compris ce qui vous arrivait; enfin je l’ai compris mais bien plus tard.

Il tousse pour s’éclaircir la voix.

Qu’est-ce qui vous à pris, Mme Léanne ? Libérer les autruches du zoo de Vincennes, en plein jour, avec une tenaille…Ca a été une pagaille terrible ; les pauvres bêtes couraient dans les rues, affolées ; ça court vite, une autruche.
Une dizaine d’entre elles ont envahi l’autoraoute A1, causant des accidents de voitures, des embouteillages monstres. Les policiers ont eu un mal fou à les rattraper ; certaines ont disparu mais on en a retrouvé deux en Bretagne…deux autruches en Bretagne, Mme Léanne, est-ce que vous réalisez ?

-Oui, j’ai des origines nordiques; les deux autruches l’ont senti et sont allées en Bretagne : c’est normal.

L’homme soupire.

-Ce que j’essaie de vous expliquer, c’est que vos troubles bipolaires sont dangereux pour les autres mais surtout pour vous. Nous allons donc changer votre traitement médicamenteux. Etre bipolaire…

-Oh ! J’en ai marre ! crié-je soudain, bipolaire ! Bipolaire ! Est-ce que j’ai une gueule de bipolaire ? Qu’est-qu’il faut pas entendre comme bêtises…Si je suis bipolaire, alors vous, vous êtes triphasé et c’est pour ça que le courant ne passe pas entre nous !
Je vais rejoindre les autruches en Bretagne; au moins là-bas, on respire…ici, ça sent le pourri !!!

Aaaaaah ! Je me réveille en sursaut, le front dégoulinant de sueur. Encore un cauchemar au sujet du psychiatre de La Frontière. Quand je serai publiée, j’irai lui parler.