Sur Facebook j'ai vu les photos de la lecture qu'ont donnée mes amis, les Troubadours du confluent, à la se donnait donc à entendre le bruit du monde, l'écho de sa fureur et de ses crimes. Je lis sur le site de la Maison : " Maison du comédien, à Alloue. Lecture de Slamkara, pièce écrite par Edouard Elvis Bvouma, auteur camerounais en résidence dans cette ancienne propriété de Maria Casarès. Autour de la table recouverte de la toile cirée rouge et blanche, Michel, Marie, Georges, Françoise et le jeune dramaturge. Dans ce petit coin de Charente, en ce paisible domaine lové dans une boucle du fleuve languide, visité cet été avec toute la troupe avant de jouer en nocturne dans le village, Par le biais de joutes oratoires, la pièce interroge les luttes révolutionnaires pour la liberté en Afrique, en s'appuyant sur le combat de Thomas Sankara, président du Burkina Faso assassiné en 1987, surnommé le Che africain et célébré par toute la jeunesse africaine 30 ans après sa mort." Joutes oratoires, slam (je constate donc que le titre de l'œuvre est un mot-valise avec slam et Sankara), c'est bien ce dont ils m'avaient prévenu la semaine dernière, un peu inquiets devant cet exercice qui certes allait être nouveau pour eux... Même s'ils devaient répéter dans la semaine (je suis tout de même curieux de savoir comment ça s'est passé...).
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C'est après la mort, en 1960, décati, Albert Camus, avec qui elle entretenait une liaison discrète et passionnée, que Maria Casarès achète La Vergne - manoir perdu dans la province française -, attirée par la photo du perron qui, semblerait-il, lui rappelait les maisons de sa Galice natale. Jusque là, elle ne possédait rien en France : ce sont ses amis, parmi lesquels André Schlesser (qu'elle épousera par la suite), qui l'incitèrent à l'achat, pour la détourner aussi de l'immense chagrin qui l'avait assaillie.
Elle viendra ici de plus en plus souvent se reposer de ses longues tournées et des tournages de films. Elle y meurt le 22 novembre 1996 et repose à côté de son mari dans le cimetière d'Alloue. C'est pour remercier la France d'avoir été terre d'asile (elle fuit avec ses parents la guerre d'Espagne et arrive à Paris le 20 novembre 1936), qu'elle a fait don à la commune, elle qui était sans descendance, du domaine et du manoir, devenu donc un lieu dédié au théâtre, à l'accueil de troupes et d'écrivains.
Le site Des lettres publiait justement, dimanche dernier 22 novembre, une magnifique lettre d'amour à Albert Camus, jamais envoyée. Extrait :
"Mardi 3 août - Deux jours entiers de passés sans t'écrire mais pas une heure, une pensée, une tristesse vague, un plaisir quelconque, une lecture, une promenade, un lever, un coucher qui ne mènent directement à toi. Est-ce que je souffre de ton absence ? Oui. Est-ce que je suis malheureuse ? Non.
Avec une patience dont je ne me serais crue capable, j'attends. J'emploie chaque jour, chaque seconde qui s'écoule à m'approcher de toi. Tout instant fini me comble de joie par le fait qu'il ne se pose plus entre toi et moi. Tout instant à venir m'est doux car il se trouve dans mon chemin vers toi.
Ce n'est pas je t'assure fausse littérature. C'est en moi comme la faim et le soleil. Ce n'est pas non plus romantisme. Je ne suis pas le moins du monde altérée et toute ma vie de vacances s'écoule dans un calme de corps et d'esprit qui est nouveau pour moi.
C'est tout simplement que je t'aime et que tu sois près ou loin, tu es toujours là partout et que le seul fait que tu existes me rend pleinement heureuse. [...]"
De Camus, il est question encore dans Les rêveurs lunaires, la superbe bande dessinée que je lis ces jours-ci, de Cédric Villani et Edmond Baudoin, sous-titrée Quatre génies qui ont changé l'histoire. Le premier de ces quatre génies étant Werner Heisenberg, que la narration, dédaigneuse de parcourir la biographie du physicien de sa naissance à sa mort, montre dans le manoir de Farm Hall, le 6 août 1945, en compagnie de neuf autres scientifiques allemands, prisonniers des Alliés et à l'écoute ce soir-là de la BBC, à l'écoute de la plus mauvaise nouvelle, peut-être, que l'humanité ait jamais reçue : la bombe atomique larguée sur Hiroshima.
Et pourtant, pour la plupart, cela n'apparut pas comme une mauvaise nouvelle, loin de là, et c'est ce que mettent en évidence Baudoin et Villani, qui se représentent eux-mêmes en discussion, remarquant que parmi toutes les réactions d'alors à la bombe atomique, il y eut bien peu de compassion pour les victimes, y compris chez les intellectuels français, "à l'exception notable d'Albert Camus, qui a dû faire face aux critiques. Pour avoir écrit un éditorial historique."
C'est dans le numéro de Combat du 8 août 1945 :
"Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. [...]"
"Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie." Oui, Camus, le seul grand intellectuel à avoir pris toute la dimension de l'événement, à en avoir pénétré l'horreur.
Un petit coin de Charente,
" au bord du courant qui allait rejoindre l'Océan,"*
et la fureur du monde.
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