C'est la question de la croyance qui intéresse donc Clément Cogitore au premier chef. La croyance, explique-t-il dans un entretien, "c’est la base des récits que les hommes se racontent depuis la nuit des temps, c’est leur manière, pour utiliser de grands mots, de résister au chaos et à la brutalité du monde. L’enjeu de tous les récits originels, c’est de relier des points – le ciel et la terre, la mort et le vivant, le visible et l’invisible. C’est aussi ce qui construit les communautés ; c’est à partir de ces récits, de ces croyances, que les hommes se rassemblent."Et selon lui, le monde occidental n'échappe pas à cette condition, malgré un ethnocentrisme qui voudrait que le croyant soit toujours l'autre : "La République française, la démocratie, les droits de l’homme, ce sont aussi des croyances. Si on cesse d’y croire, elles n’existent plus. Je pense qu’il faut les penser et les défendre en tant que croyances, et non en tant que vérités absolues et universelles qui devraient s’imposer à tous."
Le soir suivant, à Equinoxe, je vais voir Comme vider la mer avec une cuiller, le nouveau spectacle du conteur Yannick Jaulin. Et les mêmes thèmes reviennent étrangement.
Yannick Jaulin : "Je ne me serais pas douté que Comme vider la mer avec une cuiller allait autant entrer en résonance avec le cours du temps. Ce spectacle qui ne parle que de ça ! Du récit religieux, de notre besoin d'infini, de quoi faire avec ces récits aujourd'hui.
J'aborde les textes des religions du livre pour ce qu'ils sont : des contes, des récits aux multiples versions, aux évolutions étonnantes et donc aux interprétations infinies. De leur dimension mortifère quand on les réduit à une vérité."
Je pense qu'il y a quelque chose de symptomatique dans les approches de ces deux artistes, qui n'ont pourtant rien de commun, exerçant dans deux champs distincts de la culture : l'attention neuve qu'ils portent à des récits, à des visions du monde qui longtemps ne furent (et continuent de n'être souvent) que des objets de dérision, montre que quelque chose change. Quelque chose qu'il ne faudrait pas considérer comme un retour du religieux, mais bien plutôt (et là j'hésite sur la formulation) comme une révélation de l'invisible (mais il faudrait peut-être dire cela autrement). C'est un abîme en tout cas qui les sépare. Dans le film de Cogitore, on voit les talibans aussi désarçonnés que les soldats devant les disparitions (qui les touchent également). A l'inverse des villageois afghans, plus en phase avec cette insaisissable réalité, comme le montre la secrète cérémonie soufie de la fin du film.
Une image rassemble aussi les deux artistes : L'Annonciation. Celle de Fra Angelico est accrochée en fond de scène dans le spectacle de Jaulin, c'en est d'ailleurs le seul décor :
"Tout est parti de là, de ce moment là, devant un tableau de l'Annonciation.
De l'ennui ou l'interrogation de celle qui à mes côtés n'avait aucune idée de la signification de cette scène.
- C'est quoi ces deux madames dont une qu'a des ailes ?
- L'Annonciation, tu vois ? Un ange qui annonce à une femme qui s'appelle Marie, tu vas avoir un enfant sans connaître d'homme. Tu vois, un genre d'insémination par voies aériennes." (Extrait de la note d'intention)
L'Annonciation (Wikipedia)
Or, sur le site de Clément Cogitore, qui est aussi plasticien et vidéaste, on peut trouver une autre Annonciation, sous la forme d'une photographie :
Annonciation, 2012C-Print
120×100 cm
Courtesy Whiteproject
J'imagine que le nom d'Antarès Bonnassieu n'a pas été choisi au hasard. Plus qu'au Bonacieux des Trois mousquetaires, c'est sans doute aux Cieux qu'on l'abonnera. Vocation célestielle redoublée par Antarès, qui ne peut que renvoyer à l'étoile double de la constellation du Scorpion dont le nom signifie "Comme Arès", le dieu de la guerre, ce qui est congruent avec la fonction de soldat.
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Violette d'automne