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Déchéance et rédemption

Publié le 24 février 2016 par Jlk

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Chemin faisant (127)

Le clodo et la fille merveilleuse. - Comment ce pauvre type en est-il arrivé là ? me demandais-je hier soir, sur le quai du métro à la station Montparnasse-Bienvenüe, en observant un vieux béquillard en pauvre camisole trouée et le bas du corps dissimulé par une espèce de méchant pardessus, sous lequel j’entrevis bientôt des fesses nues tandis que se répandait une immonde odeur d’aigre pissat dont le filet s’étendait au pied du personnage.

Mais quelle histoire était donc la sienne ? me dis-je à l’instant en pensant au protagoniste de la Fable d’amour d’Antonio Moresco,vieil homme perdu, autre « déchet humain » en guenilles et à la rue, qui ne se rappelle même plus ce qu’il a été avant sa déchéance : armateur ou champion automobile, savant ou grand écrivain ?

Georges Simenon, qui les connaissait bien, affirmait que nombre de clochards, notamment à Paris, se retrouvent à la rue par choix et parfois plus que par nécessité. J’y resongeai ces jours en croisant plusieurs fois le regard éperdu d’un tout jeune SDF à quelques pas de la brasserie La Coupole, auquel j’ai filé la pièce sans penser un instant, pour autant, qu’il était là par choix. Une chose est en effet de se trouver au bout du rouleau après une vie plus ou moins ratée, et tout autre chose d’être down and out à vingt ans et des poussières…

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Ce qui est sûr, c’est que le béquillard compissé de Montparnasse-Bienvenuë, hier soir, n’attirait que des regards dégoûtés ou réprobateurs, tandis qu’un ange a été envoyé au désespéré de Fable d’amour, sous l’aspect d’une « fille merveilleuse » qui l’aborde un jour et l’enjoint de la suivre, l’emmène dans son petit chez elle et s’affaire longuement, après l’avoir aidé à se dépouiller de ses hardes puantes, à le laver et le rincer, gratter ses croûtes et traquer ses poux et autres morpions, tout ça au fil d’une scène d’une saisissante pureté – mais ou frères et sœurs CELA existe...

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Le voile et le sabre. – Ce qui est moins sûr, à mes yeux en tout cas, c’est que le Dieu des islamistes radicaux existe.
Du moins est-ce ce que j’aurai pensé, une fois de plus, en assistant hier à la projection du film Salafistes, rue Monsieur-le-Prince où vécut un certain Blaise Pascal, n’y entendant parler que d’un potentat céleste ordonnant surveillance et punition, dénonciation du moindre péché des autres (les pécheurs sont toujours les autres, surtout quand ils sont de nature intrinsèquement impure, tels les femmes ou les homos) et châtiment sévère mais juste : la main du voleur tranchée pour son bien, les femmes fouettées ou lapidées en public, les homos précipités du haut des murs et pour tous autres mécréants aux yeux de ce Dieu-là (ou plutôt à ceux de ses prétendus fidèles), pour leur bien aussi cela va sans dire : le sabre ou la balle dans la nuque.

Or on l’aura remarqué dans la foulée : pas une femme dans Salafistes, saufquelques-unes aussitôt sommées de se voiler, ou cette unique maligne Malienne sûrement sorcière - mais que deviendrait en ces lieux la « fille merveilleuse » du vieil Antonio ?

La voix de Maliga . – La vieille Maliga, du fond de sa cambrousse camerounaise, pourrait peut-être répondre à cette question vu qu’elle a gardé, sous son cuir tanné par les années et les épreuves, son coeur de « fille merveilleuse ».

Cette Maliga-là, qui ponctue ses discours de « voiiiilààà ! » comme personne, je l’ai d’abord rencontrée dans un manuscrit que m’avais fait lire mon piaffant poulain littéraire connu sous le nom de Max Lobe - alias Maxouille dans les bas-quartiers et autres mauvais lieux de la cité de Calvin, ou pour moi Maxou l’Bantou -, et voici que sa voix me revient, au détour des rues de Paris, ou sur l’esplanade des Tuileries où ses frères ou cousins vendent des petites Tours Eiffel et autres colifichets, par ces Confidences qui mêlent vie bonne et colère, douleur profonde et chansons, pleurs et zumba…

La voix de Maliga, c’est la voix de l’humanité dépouillée des trop beaux atours de la rhétorique et des masques jetés sur les faits avérés, des mensonges des idéologues et des histoires arrangées au nom des Grandes Idées non incarnées et autres dieux manipulés par les pouvoirs divers.

Citant L’énigme du retour de Danny Laferrière, Max le Bantou fait sienne cette observation qu’à mon tour je fait mienne en errant dans mes souvenirs parisiens d'une cinquantaine d'années, avant de regagner le bord de ciel où m’attend ma bonne amie Lady L : « On naît quelque part, si ça se trouve, on va faire un tour dans le monde, voir du pays comme ondit, y rester des années parfois, mais, à la fin, on revient au point de départ »…

Antonio Moresco. Fable d'amour. Traduit de l'Italie par Laurent Lombard. Verdier, 124p.
Max Lobe. Confidences. Zoé, avec une lettre d’Alain Mabanckou en postface, 284p. ,2016

Images: Philip Seelen et JLK


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