Christopher Bailey, CEO et Directeur de Création de Burberry, légitime ce choix par la volonté d'être au plus près de ses clients: il ne voit pas pourquoi les produits ne seraient pas immédiatement disponibles ni pourquoi la mode devrait continuer à distinguer automne/hiver et printemps/été alors que la diffusion de la mode est mondiale (et concerne les deux hémisphères). Au bout du compte pour lui tout ceci ne demande qu'une optimisation de la supply chain: "When you break it all down, it’s just a shift in your supply chain — that’s the crunch". Je pense en outre qu'il aurait pu évoquer la baisse des coûts qu'une telle décision implique, surtout à un moment où les résultats de Burberry sont médiocres (sur les 6 premiers mois de 2015: ventes et bénéfice stables / baisse des licences de 13%).
Bien entendu il s'agit de toute autre chose: nous sommes en face du grand retour du luxe ET d'une redéfinition de l'opposition France & Italie vs. les Anglo-Saxons.
"We have designers, retailers, and everybody complaining about the shows. Something's not right anymore because of social media, people are confused," disait Diane de Furstenberg, présidente du CFDA (Council of Fashion Designers of America) annonçant qu'ils examinaient la possibilité d'une Fashion Week "See Now, Buy Now". Il s'agit bien d'une initiative américaine, présentée comme se faisant sous la pression des medias sociaux et des consommateurs. Ce point est essentiel: il suffit de se rappeler par exemple que Tommy Hilfiger a installé lors de son dernier défilé un "Instapit : En plus de la zone réservée aux photographes professionnels, Tommy Hilfiger a installé un espace dédié aux instagrammers, pour leur permettre de shooter de manière optimale le show et publier en live leurs clichés sur Instagram" (voir ici) et que les défilés américains sont maintenant souvent accessibles au public (moyennant un droit d'entrée). Les défilés de mode américains sont maintenant construits comme un "entertainment" démocratisé.
La réaction des marques de luxe ( défilant à Paris et Milan) - lesquelles se présentent comme "creation driven" - renvoie les marques américaines à leur image "marketing driven": elle leur donne une occasion unique de réaffirmer leur statut de marques de luxe, mettant en œuvre une véritable gestion de la rareté. Et donc de se distinguer définitivement des marques américaines (et de Burberry) souvent présentées comme étant le luxe accessible. Nous assistons donc ainsi à un repositionnement général des marques au sein du luxe.
Mais il ne s'agit pas de leur part d'une position figée sur un modèle inamovible. Prada met à disposition immédiatement en boutique deux modèles de sacs présentés lors de son défilé. Et Karl Lagerfeld avoue (sur BoF) que l'organisation de Chanel est bien plus subtile qu'on le pense: "Chanel makes six collections per year, but I make already one — the capsule — that is not shown to the press, to nobody. The day it comes out is the day the stores get a document. Now I want to do something else — perhaps it's too early to talk about it — to make a special collection only for the [Internet]. Fifteen things, you buy them and you get them immediately." Vision bien plus sophistiquée que le "See Now, Buy Now".