FRAGMENTS
L a neige floconne en silence. Assise à sa table de verre nappée de papier bulle, elle cotonne. Elle étire ses rêveries dans les branches d'un cognassier du Japon. Ses songes plongent dans les petites corolles aux couleurs éclatantes sur le bois nu. Elle sirote son thé dans une tasse en forme d'exosquelette d'oursin. Ses phalanges lisent les points saillants de l'émail piqueté du petit récipient. Un braille sensé. Des reliefs délassants. Elle fredonne. Par mégarde, une bulle d'air claque.
La lune gibbeuse est dans son périgée. Pour qui cette beauté si personne n'y porte attention ? Au moins sept révolutions sidérales depuis leur dernier baiser. Et la lune comme son manque est énorme. Et l'astre comme ses yeux réfléchit la lumière du soleil. Il est encore son centre de gravité. Elle tourne autour de lui. Dans son orbite elliptique, la distance entre eux varie d'une rencontre à l'autre. Une autre l'éclipse. Une autre qui doit sa beauté à la dureté du vent.
Elle avale de la grenaille et des grains de poivre noir comme elle avalerait du caviar et des baies de genièvre. Elle déglutit des raisins de loup et des sceaux de Salomon comme des cassis mouillés. Elle gobe des fruits de belladone comme des myrtilles. Elle s'intoxique doucement. Elle s'empoisonne délicieusement. Elle attend les premiers symptômes : mirage et vertige, fièvre et brûlure.
Sylvie Marot,
Lisianthus, Fragments, Éditions de La Crypte, Collection Les Voix de la Crypte, 2015, pp. 49-50.