Quelle est donc cette forteresse qui domine la mer, où vivent toute une armée, un colonel, sa fille et son amoureux ? Quel est donc ce pays aux limites incertaines, fait de terres et d’eaux, sur lequel comme dit le poète, « un ciel bas et lourd pèse comme un couvercle » ? Peu importe que cela soit aux confins du Sahara ou dans une vallée perdue d’Asie centrale, il y a quelque part en chacun de nous, dans nos souvenirs ou dans notre âme, un Dernier colonel qui survit. Ou plus exactement qui résiste, car tout l’enjeu de ce livre est là : tenir. Ses engagements, ses promesses, ses principes, son rang… Tous, nous avons un jour ou l’autre à lutter contre une adversité, proche ou lointaine, visible ou implicite. Et c’est loin d’être aisé, même si l’on est le dernier d’une longue lignée de colonels ayant commandé la place. Un esprit fort. Un sage. Même si l’on tente des échappées belles sur le dos d’un rêve ayant les allures d’un cheval pâle, prémisse d’une fin ou d’une révélation. Jusques à quand, Éternel, mon ennemi s’élèvera-t-il contre moi ? dit le psaume 13. À cette question non plus, il n’y a pas de réponse, ou plus exactement : qu’importe la réponse, qu’importe même l’utilité de cette réponse et de cette résistance alors que peu à peu, tout se défait, tout se délite, tout se mêle dans l’informe comme la terre et l’eau de cette contrée lointaine et indéfinissable. L’essentiel est dans cet impératif catégorique qui fait que l’homme est homme : la dignité, pénultième et imprenable rempart.
Bien qu’il s’en défende, Jean Lods a dans ce livre des accents proches de ceux de Julien Gracq, tant dans le sujet que dans le style. Car c’est en effet dans une langue magnifique qu’il entraîne son lecteur vers des rivages inexplorés. Un très beau roman, à lire absolument.
Jean Lods, Le Dernier colonel, Éditions Phébus, 200 pp. 17 euros