Chemin faisant (146)
Soins et chichis.- Le lieu est admirable, face à l'océan aux bleus à reflets verts et roses, en promontoire à vastes terrasses, entre un bois de pin abritant de riches propriétés et les premières villas de la chic station balnéaire de Dinard, moins visible d'ici que le front des remparts de Saint-Malo, là-bas en horizon sommé d'une fine pointe de clocher et de quelques grues portuaires, par delà l'estran et les eaux planes de la baie.
En grec homérique la mer se dit thalassa, et l'établissement où nous avons fait escale est tout entier voué à la thalassothérapie, entre autres soins extrêmes dont certains frisent le haut comique, à grand renfort de dépenses supplémentaires - ce qui s'appelle vulgairement faire pisser le dinar...
Ainsi, â côté des classiques bains en eau salée, massages hydrorelax, enveloppements d’algues et autre détente coachée sous pluie marine, est-il possible, en ce temple du bien-être, de « remodeler son corps » par l’expertise minceur d’Acquascience en 3séances de Watermass (190 euros), avant un gommages douceur aux senteurs méditerranéennes (50 euros les 25 minutes), préludant à trois séances de Conseils en image de soi subdivisées en une expertise de colorimétrie (la couleur de vos fringues assortie à votre carnation), une autre de maquillage et une troisième relative au dressing code – toutes opérations éminemment valorisantes au niveau de l’’estime reconquise de soi, à raison de 190 euros le multipack…
Lejeune la bien nommée. – Or je me trouvais là, à contempler gratuitement l’océanique sublimité, lorsqu’une voix de femme m’a surpris en pleine rêverie : « Et que ressentez-vous devant le plus beau paysage du monde ?». La dame qui se tenait là, d’une très élégante extravagance, l’air d’une espiègle petite fille avec ses tresses blondes, de très beaux yeux bleus rappelant ceux de la duchesse de Guermantes (avec aussi quelques chose de son profil d’oiseau distingué), tranchait sur le style middle class de la clientèle, genre artiste bon genre; et mon interlocutrice apprécia illico la nuance que j’opposai à son affirmation, en lui faisant valoir que cet incomparable paysage n’en excluait pas quantité d’autres non moins uniques, etc.
Alors la conversation de se nouer autour de multiples goûts partagés (de Bruges à PaulMorand, en passant par les ciels changeants des Caraïbes, le romancier Raymond Abellio qu’elle a connu autant que Julien Gracq et Salvador Dali) et de sa pratique de la photographie pictorialiste (100.000 diapos dans sa réserve de globe-trottineuse), un fils humoriste célèbre et un recueil d’aphorismes en quête d’éditeur – d’où notre promesse de nous retrouver le soir…
Jamais deux sans trois. – Lorsqu’une personne me botte, j’attends volontiers la confirmation de Lady L. dont les antennes sensibles sont quasi sans failles. Or notre premier dîner en trio, avec dame Lejeune dont j’avais appris par une interview, me renseignant à son propos sur Internet, que son odeur préférée était celle du chèvrefeuille, a bel et bien eu valeur d’expertise relationnelle à valeur ajoutée, notre nouvelle amie estimant notre rencontre aussi revitalisante que sa cure d’algues, et Lady L. se réjouissant non moins de l’entendre évoquer ses multiples vies, d’Afrique en Chine en passant par de folles glissades à ski en Engadine - tous trois riant beaucoup enfin à l’évocation d’un inénarrable épisode vécu par la pétillante octogénaire avec son faunesque ami Michel Simon…
De la serendipity. – Nicole Lejeune m’a demandé, à notre dernière entrevue de ce matin, si je croyais à l’astrologie et à la réincarnation ? Prenant la tangente normande, je lui ai répondu que la serendipity guidait plutôt mes pas, autant que ceux de Lady L. Le fait que le grand amour de sa vie ait été, comme je le suis, du signe desGémeaux, m’intéresse moins à vrai dire que d’avoir eu en mains, cette nuit, la maquette de son recueil d’aphorismes ciselés et peaufinés durant plusieurs décennies, cristallisant de nombreuses observations fines sur la vie, l’amour,la beauté, les tribulations affectives ou sociales, l’art et la nature, avec autant de naturel que de justesse, sans éviter les lapalissades propres au genre. Dons j'aiderai notre amie, dans la mesure de mes moyens, de trouver un éditeur à son livre, sans me prendre pour la réincarnation de Saint Martin...
La serendipity, ainsi que l’a définie l’écrivain anglais Hugh Walpole, est cet art conjuguant curiosité, disponibilité, flexibilité, appétence et générosité, qui fait par exemple qu’après vous être pointé dans un haut-lieu de wellness tel que le Thalassa Sea & Spa de Dinard, dont personnellement vous n’avez que fiche des conseils en matière de cryothérapie glaçante ou de coaching par Power Plate, vous découvrez là, dans une bibliothèque où se pratique le book crossing, tous les romans de Simenon et le Dictionnaire amoureux de la Bretagne d’Yann Quéffelec, ou la monumentale bio de Victor Hugo par André Maurois (édition d’Arthème Fayard de 1955) dont vous serez le premier à couper les pages( !), avant de prendre des nouvelles de vos filles à San Diego et Phuket sur une terrasse où vous aborde une jeune fofolle en fleur de 86 ans, et cet après-midi, demain à Roscof, puis à Quimper chez une autre dame de qualité rencontrée sur la Toile, enfin auprès des otaries et des chimpanzés à visage humain du zoo de La Flèche, l’immensité des choses ne cessera de vous surprendre…