Aubépines, pierres et druides

Publié le 15 avril 2016 par Jlk

Chemin faisant (148)

Folklore contre pittoresque. – Avec ses parcours fléchés, ses clichés vidés de leur substance,ses contraintes et ses atteintes, son kitsch substitué à toute vraie beauté, le tourisme massifié des temps qui courent ne cesse de nous soumettre aux tensions schizophréniques entre curiosité et dégoût, attirance et répulsion, reconnaissance et déception, et cela s’avère par les lieux les plus remarquables, de Venise à Bruges ou, ces jours pour nous, en Bretagne, deTréguier à Dinan. 


À Tréguier surtout, un peu moins à Dinan, mais aussi à Roscoff, d’imposants ensembles architecturaux ne sont plus aujourd’hui que des coquilles vides, dont nous admirons la beauté extérieure ne correspondant plus à un habitus communautaire vivant. Du moins la beauté de cette architecture qu’on dit « sans architectes » fait-elle écho au génie populaire  dont est issue, en Bretagne la poésie « analphabète » relevant d’une haute tradition druidique puis chrétienne, qui se module notamment dans les lais du Barzas Breisz, somme lyrique et légendaire, musicale et morale de la plus ancienne histoire de Bretagne, dont la matière fut collectée auprès des vieilles paysannes et dans les cafés de marins, les comices agricoles ou les veillées funéraires, au mitan du XIXe siècle, par un vicomte ami de Chateaubriand (Théodore Hersant de La Villemarqué) qui fut d’abord traité de faussaire à Paris avant d’être honoré comme glaneur de folklore au même titre que Bartok dans la puszta ou, plus récemment, Pierre Jakez Hélias dans ses travaux de passeur-conteur.

D’envoûtantes itanies. - Nous roulions ce matin sur la départementale assez encombrée reliant Roscoff et Dinan, et je psalmodiais, ainsi que le conteur en sabots, les Séries citées par Yann Quéffelec dans son Dictionnaire amoureux de la Bretagne, telles que les Neuf petites mains blanches ou Le Druide et l’enfant que lui récitait sa tante Jeanne au manoir de Kervaly, quand les oreillons le retenaient au lit.

Je cite trop brièvement, en renvoyant la lectrice et le lecteur aux pages 117 à 132,sous la rubrique Barzas Breizh, du Dictionnaire amoureux de Quéffelec :

« -Tout beau, bel enfant du Druide, réponds-moi. Tout beau, que veux-tu que je te chante ?

-     Chante-moi la série du nombre un, jusqu’à ce que je l’apprenne aujourd’hui.

- Pas de série pour le nombre un. La Nécessité unique, le Trépas, père de la Douleur, rien avant, rien de plus.

-     Chante-moi la série du nombre deux, jusqu’à ce que je l’apprenne aujourd’hui.

-     Deux bœufs attelés à une coque, ils tirent, ils vont expirer. Voyez la merveille ».

Et ainsi de suite, les séries se suivant et s’amplifiant au fil de l’incantation, au risque d’hypnotiser Lady L.au volant de la Honda Hybrid : « Sept soleils et sept lunes, sept planètes, y compris la Poule. Sept éléments avec la farine et l’air »…

Le pays profond. – « Si le monde actuel est un village planétaire, écrit Yann Quéeffelec, un village internautique, le villageois breton en exil n’oublie jamais le tuf armoricain. La terre, l’océan : racines. La musique et la danse : racines. La Langue : sectionnée, mais racine. L’appartenance – abusivement qualifiée d’identité -, voilà bien la force innée qui l’attache à la tribu, breton qu’il est avant d’être français, européen. Ce n’est pas un repli, c’est un ancrage ».

En passant à travers les neiges d’aubépines et les soleils de genêts, vous entrevoyez les crucifix de pierre de Bretagne : racines. Des mots incompréhensibles surgissent ici et là :racines. Et Yann Quéffelec, relayant ’auteur du Cheval d’orgueil que j’ai entendu un jour psalmodier lui aussi par cœur, de conclure à propos du villageois breton : « S’il veut parler brezhoneg en ces jours globalisés où Molière paraît s’américaniser à plaisir, c’est par instinct prométhéen, une gloire de sauveteur de feu »…