LUNDI 11 AVRIL
Selon un sondage, 80% des Français jugeraient que le meilleur homme politique serait un amateur : il semble que satisfaction leur soit rendue puisque depuis 1995, ils n’ont fait qu’élire des amateurs à la tête de l’État ! Plus sérieusement, quand je vois ça, j’en veux un peu à Coluche d’avoir lancé sa campagne en disant « Comme on a voté pendant trente ans pour des gens compétents et intelligents, je propose qu’on vote pour un imbécile qui n’y connait rien, c’est-à-dire moi. » C’était bien sûr un simple trait d’humour destiné à tourner en dérision les campagnes électorales « sérieuses », ce qui était le but premier de sa candidature : malheureusement, beaucoup d’imbéciles qui s’y connaissent encore moins que lui l’ont pris (et continuent à le prendre) au sérieux, persuadés que le premier d’entre eux ferait mieux que Hollande, simplement en se servant de son « bon sens populaire »… Le « bon sens populaire » ! Le bon sens de ces résistants de la dernière heure, dénonciateurs de « clandestins » la veille et tondeurs de femme le lendemain, le bon sens au nom duquel des milliers de personnes ont réclamé la mort pour Patrick Henry (et l’auraient probablement réclamé aussi pour Patrick Dils ou Omar Raddad) puis ont manifesté contre Badinter, le bon sens au nom duquel Rachida Dati, alors garde des sceaux, a fait reculer les libertés, le bon sens suivant lequel ont gouverné de brillants démocrates tels que Reagan, Bush, Berlusconi, etc. Quand je vois Alexandre Jardin, présentant sa « primaire citoyenne », affirmer qu’il fait confiance à l’intelligence de ses concitoyens, je me dis qu’il ferait mieux de continuer à écrire des romans…
Cela dit, il est vrai que pour proposer des solutions contre le chômage, il n’est pas besoin d’avoir fait polytechnique : cet après-midi, au bureau de poste de ma commune, il y a eu une file dont l’ampleur, quoique mesurée, est en complet décalage avec la faible importance de la ville de Guilers. L’une des causes : sur deux guichets, il n’y en avait qu’un d’ouvert… Peu après, je rends visite à une jeune maman de mes amies qui me raconte la déception que lui a causé une crèche employant un personnel incompétent : le salut lui est venu par la découverte d’une nounou exemplaire qui lui coûte peu d’argent grâce à la sécurité sociale… À votre avis, combien de chômeurs auraient été prêts à accepter d’accueillir les usagers de la poste qui se fignolaient des varices comme des cordes à linge ? Et combien seraient prêts à garder, avec amour et attention, les enfants des parents débordés ? Et quid des classes surchargées quand tant de jeunes profs sont condamnés à errer de stage en stage ? De manière générale, combien de bras que les collectivités publiques n’embauchent plus et dont la société a tout de même besoin ? Au lieu de parler d’emplois supprimés, on ferait mieux de parler d’emplois volés ! Volés par les margoulins qui planquent dans les paradis fiscaux des sommes scandaleuses qui permettraient de créer des milliers voire des millions d’emplois publics ! Voilà une idée qui n’effleure que rarement le « bon sens populaire » plutôt prompt à fustiger ces « salauds de fainéants de fonctionnaires »…
MARDI 12 AVRIL
Il ne faudrait pas non plus s’imaginer que j’idéalise au-delà du raisonnable la fonction publique : je viens de recevoir ma déclaration de revenus 2015, préremplie comme il se doit. L’administration fiscale est donc bien placée pour savoir que je ne suis pas imposable : pourquoi ont-ils donc besoin de m’envoyer une paperasse que je dois ensuite renvoyer pour le leur confirmer ? Au final, en tant que « contribuable » (ma situation justifie les guillemets), j’aurai coûté à l’État au moins le prix du papier et je ne lui aurai rien rapporté ! Multipliez ça par le nombre de pauvres couillons dans le même cas que moi et vous aurez une idée du gaspillage que ça représente ! Bref, en attendant qu’on se décide à confisquer les avoirs cachés dans des paradis fiscaux, on pourrait déjà en finir avec ce genre d’absurdité causée par une mentalité tatillonne et médiévale couplée avec une confiance stupidement aveugle envers des machines sans âme : ce n’est pas incompatible avec la création d’emplois, une administration plus nombreuse, où chaque fonctionnaire aurait moins de dossiers à traiter, serait même plus souple et plus efficace. Mais bon, moi, je ne suis pas le bon sens populaire, je ne suis qu’un sale bourgeois qui a bac+10, alors je ferme ma gueule.
Il y a 24 ans, jour pour jour, La Cinq, « la télé qui ne s’éteint jamais », s’éteignait. J’allais sur mes quatre ans et j’ai longtemps cru que c’était la première fois qu’une chaîne de télévision disparaissait en France ; en réalité, il y avait eu un précédent avec TV6, mais celle-ci avait été remplacée presque aussitôt par M6 et le cas de La Cinq avait ceci de particulier qu’elle a laissé la place pendant plus d’un mois à un canal vide, le temps pour Arte puis La Cinquième de prendre la relève. Il n’empêche que l’échec de La Cinq fut une leçon pour les programmateurs : l’erreur des dirigeants de la première chaîne privée et gratuite en France fut d’avoir déployé des moyens colossaux pour conquérir le plus vite possible le grand public ; les patrons de la télé, devenus prudents, préféreront par la suite se « faire une clientèle », c’est-à-dire conquérir un public peu nombreux mais fiable et attendre de pouvoir s’appuyer sur cette base solide pour draguer de nouveaux téléspectateurs : c’est en suivant cette stratégie que M6 est passée en quelques années du statut d’épicerie de couillonnades branchées en détail à celui de grande surface de la télé-poubelle en gros.
MERCREDI 13 AVRIL
Coup de fil en début de soirée : un sondage sur mes rapports avec ma banque, commandé justement par ma banque suite à ma dernière entrevue avec ma conseillère – soit dit en passant, le fait que je reçoive un tel coup de fil quelques jours à peine après ce rendez-vous qui a effectivement eu lieu en dit long sur le flicage dont clients et employés sont l’objet dans les banques d’aujourd’hui. J’ai répondu par solidarité envers la jeune femme qui était au bout du fil, vraisemblablement peu heureuse de faire ce boulot de merde et épuisée par la dizaine de raccrochages hostiles voire injurieux qu’elle a dû essuyer. J’ai même répondu que j’avais été satisfait de l’entrevue, non seulement parce que c’était vrai (il y a des mots durs à dire, mais les banquiers ne sont pas tous des dégueulasses) et aussi par solidarité envers ma conseillère qui, pour ses patrons, n’est qu’une variable d’ajustement corvéable à merci mutable du jour au lendemain (et d’ailleurs bel et bien mutée ainsi pour éviter le tissage de solidarités avec les clients). En somme, j’ai répondu à des questions sans intérêt par solidarité : concluez-en ce que vous voulez mais ne me jugez pas.
Je redécouvre Jo, Zette et Jocko, la série qu’avait créé Hergé à la demande des bons pères du journal Cœurs Vaillants qui trouvaient que Tintin, ce héros sans famille, sans domicile fixe et qu’on ne voyait jamais gagner sa vie n’était pas un très bon exemple pour la jeunesse. Ayant dû créer toute une famille ex nihilo, Hergé y est à la fois plus contraint et, paradoxalement, plus libre que dans Tintin : sa seule contrainte était de mettre en scène une cellule familiale conforme à l’image que la bonne presse bien-pensante voulait donner de la famille, une contrainte lourde mais unique que ne venait pas alourdir les exigences de vraisemblance à l’œuvre dans Tintin en raison non seulement du statut de reporter du personnage mais aussi, tout simplement, du succès de la série. De ce fait, Hergé se permet de « délirer » un peu et met en scène des situations inimaginables dans sa série fétiche : le vilain savant du Rayon du mystère, sorte de bâtard raté de Frankenstein et de Zorglub, est plus pitoyable que redoutable, avec son projet complètement surréaliste de transmission d’âmes ! Malgré cela, je me garderai bien d’avoir envers cette série la sévérité dont fait montre Pierre Ajame dans sa biographie d’Hergé : ce dernier ne travaillait pas au rabais et même si l’on sent bien que ces personnages plutôt falots d’enfants modèles ne l’ont jamais vraiment passionné, l’auteur est bien présent tout entier dans cette série, avec son génie du gag, du suspense et du rebondissement. D’ailleurs, pour vous dire à quel point cette lecture reste prenante malgré tout, elle m’a valu un cauchemar où j’étais moi aussi prisonnier d’un fou furieux ! Peut-être parce qu’en voyant les larmes de la maman de Jo et Zette, j’étais sensible à la douleur d’une mère…
Hergé vu par votre serviteur.
JEUDI 14 AVRIL
Conférence de presse, au Vauban, de l’association « Les fous de la rampe » et de la chorale « Peuple et chansons » pour présenter le spectacle « Révoltes et combats d’espoir » qui revient en chansons sur les grands mouvements sociaux nationaux ayant marqué l’histoire de France depuis 1789 jusqu’à nos jours. La représentation, prévue le 29 avril, sera une grande première puisque ce sera la première fois, depuis son ouverture, que la grande salle polyvalente Brest Arena accueillera non pas une grande machinerie en tournée nationale (ou même seulement régionale) mais bien une initiative locale : espérons que d’autres suivront car le pays de Brest regorge de talents à mettre en valeur. Les organisateurs ne s’y sont pas trompés en faisant appel à deux artistes que je connais bien, à savoir le pianiste Gildas Vijay-Rousseau et notre « Vanessa Paradis » locale, l’adorable Johanna Alanoix, qui fait ses débuts comme comédienne ; mais surtout, le spectacle a pu compter sur le talent de ce vieux routier de la chanson qu’est Jean Dussoleil. Je ne pense que j’aurai le temps d’y aller, mais si vous en avez l’occasion, n’hésitez pas : ça ne coûte que douze euros et se remémorer les combats de nos ancêtres, ce sera plus enrichissant que de rester devant la télé voir Macron expliquer pourquoi il faut soutenir le Medef…
Une infime partie de la troupe de « Révoltes et Combats d’espoir ».
Un bon truc en passant : si vous avez mal à l’oreille, si vous sentez que vous avez une saloperie comparable voire assimilable à une otite, soulagez la douleur en gardant l’oreille au chaud avec une bouillotte ou un bonnet. Avec mon bonnet en laine rabattu sur l’oreille droite, j’ai eu l’air con pendant quelques minutes, mais au moins, je n’ai plus mal à l’oreille sans avoir donné le moindre centime à un pharmacien ! Songez-y : avec le mois d’avril pourri qu’on a, c’est bon à savoir.
VENDREDI 15 AVRIL
Lu Chagrin d’école de Daniel Pennac où l’écrivain revient sur son parcours de cancre devenu professeur : je suis assez convaincu par la conclusion, expressément formulée par le cancre qui continue à hanter l’auteur, que l’ancien mauvais élève, celui qui sait ce que ça représente de ne pas comprendre le cours, est finalement le meilleur professeur ; sans aller jusqu’à dire qu’on devrait réserver le monopole de l’enseignement à ces individus au profil somme toute atypique (le cancre qui devient professeur reste un oiseau rare), on devrait au moins leur réserver les classes les plus « difficiles » au lieu d’y envoyer des jeunes profs à la peau tendre qui n’ont jamais vécu l’ignorance de l’intérieur et finissent par faire des dépressions nerveuses quand ils se rendent compte que les éternels bons élèves dont ils ont fait partie étaient et restent l’exception – Pennac met en avant cette rareté en appelant de tels élèves les « élèves-friandises »… Bref, en fin de compte, l’enfant surdoué et autiste que j’étais (et que je suis en grande partie resté) n’aurait de la chance d’être un bon prof que dans la seule matière où il a longtemps ramé avant de rencontrer, au lycée, un enseignant formidable qui a réussi à lui faire obtenir la moyenne au bac : le sport…
Lu une interview de Renaud où le poète s’explique sur sa chanson « j’ai embrassé un flic » : il avoue s’être réconcilié avec les policiers qui « sont là pour nous protéger ». Voilà qui a dû en faire hurler quelques-uns, à commencer, je présume, par l’ami Siné ; pour ma part, ça ne me choque pas : Brassens aussi avait fini par se réconcilier avec les pandores et ça prouve une fois de plus que Renaud n’est pas le chantre du gauchisme puéril et flicard comme certains se sont ingéniés à le caricature – même sa chanson « Les charognards », sans doute la plus belle de ses œuvres de jeunesse, est moins une chanson anti-flics qu’une dénonciation du « bon sens populaire » que j’ai moi-même fustigé plus haut… De toute façon, le génie du verbe qui caractérise Renaud m’interdit lui faire des procès trop sévères ; après tout, s’il a embrassé un flic, ce n’est pas si grave : une bouche, c’est comme un chapeau, ça se lave ! Et puis je ne pense qu’il soit naïf au point d’oublier cette vérité essentielle que ses copains de Charlie Hebdo ont confirmée bien malgré eux : les flics sont là pour nous protéger, certes, mais ça ne veut pas dire qu’ils y arrivent toujours !
Renaud vu par votre serviteur.
SAMEDI 16 – DIMANCHE 17 AVRIL
Festival de la bande dessinée de Perros-Guirec : une fois passée la meute hostile des chasseurs de dédicaces qui voient comme un concurrent tout ce qui est dans la même file qu’eux, je savoure, que dis-je, je me délecte littéralement des expositions consacrées à ce génial dessinateur pour enfants qu’est Pef, à l’humour noir made in Belgium de Dickie, à l’immense graphiste humoristique qu’est Jean Solé et, bien entendu, à l’invité d’honneur du festival, Nikita Mandryka. Celui-ci s’est exprimé au forum, revenant sur les points forts de sa carrière : on le sent embarrassé par l’évocation du lynchage post-mai 68 de René Goscinny où il avait été présent – il jure avoir cherché à défendre son patron contre les accusations absurdes dont celui-ci faisait l’objet : il faut croire que ce « procès de Moscou » était vraiment imbécile puisqu’aucun des grands dessinateurs du Pilote des sixties ne reconnait y avoir pris part active. Mandryka affirme aussi qu’il avait parfaitement compris le refus par Goscinny du « Jardin Zen » : corrections d’un passé qui ne passe plus (on peut comprendre que, comme Gotlib, il regrette de ne s’être jamais réconcilié avec Goscinny) ou, comme c’est plus probable, mises au point sur une histoire que la presse a souvent romancée en la rendant plus violente qu’elle n’a été ? Peu importe : l’immense talent du créateur du concombre masqué est trop peu mis en avant (Dargaud l’a même laissé tomber), alors on ne va pas chipoter pour des conneries pareilles, bretzel liquide !
Nikita Mandryka et Nicoby
J’étais venu au festival de Perros-Guirec en qualité de lauréat du concours « jeunes talents » (prix du scénario) : après la remise de mon prix (une énorme caisse de matériel de dessin, autant dire qu’on ne s’est pas fichu de moi), je cède à la tentation et vais demander une dédicace à Fabcaro qui me confirme que sa reprise de Gai-Luron avec Pixel Vengeur n’est pas un canular et que la sortie de l’album est prévue pour septembre prochain… Malgré mon scepticisme sur le principe même de la « reprise » d’une série, j’aurai du mal à en faire grief à Fabcaro que je considère comme l’un des génies de la BD d’humour actuelle – je le lui ai d’ailleurs dit de vive voix. Après tout, je n’ai qu’à attendre la sortie de l’album pour me faire une idée…
Ma planche avec d’autres BD lauréates.
À dimanche prochain si on veut bien !
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