Mardi 19 avril Séance n°19 (Plus que 14)
Assis dans la salle d’attente aujourd’hui, j’ai essayé de compter le nombre de médecins différents que j’ai rencontrés depuis que mon généraliste m’a envoyé dans cet hôpital.
Au bout d’un moment, j’ai dû y renoncer. La vérité c’est que je suis incapable de le dire.
Mais cela n’a rien de surprenant dans un grand hôpital comme celui-ci, avec autant d’équipes soignantes. Cela ne me dérange pas.
En fait, je trouve cela rassurant d’être pris en charge par une équipe de médecins et d’infirmières qui traitent des centaines de cas comme le mien chaque année. Lorsque vous devez subir une opération aussi délicate qu’une prostatectomie radicale assistée par robot, avec préservation des nerfs, vous préférez avoir affaire à un chirurgien qui les enchaîne à longueur d’année.
Par contre, ce qui me dérange, c’est que le médecin qui vous reçoit lors d’une consultation puisse ne pas avoir personnellement statué et pris les décisions clés sur votre cas, décisions qu’il ou elle est maintenant en train de vous exposer.*
Une raison médicale se cache derrière tout cela.
Les cas de cancer dans cet hôpital, comme dans beaucoup d’autres, sont examinés par une équipe multidisciplinaire. Le traitement du cancer est une affaire très complexe. Le rôle de l’équipe multidisciplinaire est de rassembler un panel de spécialistes tels que chirurgiens, oncologues, radiologues, pathologistes et infirmières spécialisées pour traiter chaque cas avec la plus grande expertise possible.
Cela semble pour le moins rationnel. Qui dit grand hôpital, dit un maximum d’expérience; une équipe importante, un savoir-faire de haut niveau. C’est à coup sûr le bon cocktail pour s’assurer le meilleur traitement et les meilleurs résultats.
Je suis réellement content que mon médecin m’ait envoyé dans cet excellent hôpital. Je suis très satisfait des soins que j’y ai reçus.
Mais à mon avis, une médecine efficace, ce n’est pas seulement une affaire de science, c’est aussi une question de confiance.
Lorsque l’on vous découvre un cancer de la prostate, si vous essayez d’en savoir plus sur la maladie et les traitements disponibles, vous allez rapidement vous trouver confronté à une montagne d’informations et à un choix déconcertant de traitements accessibles.
En fin de compte, il vous faudra tout miser sur la confiance, éclairée peut-être, mais ce ne sera quand même basé que sur la confiance.
Et la triste vérité c’est qu’il est difficile de faire confiance à une équipe multidisciplinaire.
Nous, les malades du cancer, nous sommes tout sauf rationnels. Nous avons peur, nous ressentons de la colère et nous sommes désorientés.
J’imagine que ce que la plupart d’entre nous souhaitent vraiment, c’est d’avoir un sauveur attitré. Nous voulons un médecin que nous pouvons regarder droit dans les yeux, sans faux-fuyant et à qui nous pouvons dire : « C’est vous le spécialiste, vous en savez beaucoup plus que moi sur le sujet, je vous fais entièrement confiance. Alors faites ce que vous avez à faire/allez-y et guérissez-moi. »
Mais si vous savez que le médecin en face de vous ne fait finalement que relayer l’avis d’une équipe multidisciplinaire, cela s’avère beaucoup plus difficile – même si votre cas a été examiné avec la plus grande expertise.
Autant chercher la quadrature du cercle !
Tout comme la difficulté pour les médecins et les patients de trouver un moyen judicieux de parler de risque, c’est encore un problème de communication.
Et ce n’est pas une science – ce n’est pas non plus un art – c’est un métier.
Ce n’est pas une question de talent naturel (même si cela peut aider), c’est un ensemble de compétences et de techniques que l’on est sensé apprendre, appliquer et perfectionner.
Alors pourquoi cela fait-il défaut à tant de médecins ?
Voilà un nouveau sujet de réflexion à méditer dans la salle d’attente…
* NDT : En Angleterre, le système médical est un peu différent et l’on ne prend pas rendez-vous, comme en France, avec un médecin particulier qui vous suit. C’est le service médical qui vous convoque et vous êtes reçu par un des médecins du service mais pas toujours le même.