Lundi 11 avril Séance n°13
English version
Au moment d’aborder la quatrième semaine de traitement, je suis là, à essayer de me rappeler où j’en étais.
Ce n’est pas parce que j’ai du mal à me souvenir des blagues un peu stupides de vendredi dernier. C’est pire que cela.
Vous voyez, ma concentration semble partir en miettes. Bien sûr, il peut y avoir plusieurs explications à cela. C’est peut-être que je vieillis, que la vie devient de plus en plus compliquée, ou que la vie dans un univers entièrement connecté empêche de se concentrer correctement. Ou bien les trois en même temps.
Mais j’ai l’impression qu’il se produit également un autre phénomène. Vous voyez, je pense que la concentration fonctionne un peu comme l’audition.
Excusez-moi – je n’ai pas très bien compris ce que vous avez dit. Ah bon ? Désolé, c’est de ma faute.
Alors, où étions-nous ? Ah oui, la concentration et l’audition.
En fait, bien qu’il existe sûrement des descriptions physiologiques très précises de ce qui se passe ou devrait se produire dans notre cerveau quand on entend ou quand on écoute – pardon, quand on se concentre (!) – Je suis de plus en plus convaincu que ces deux fonctions sont aussi étroitement liées à nos émotions.
Vous entendez mieux ce que vous avez envie d’entendre. Plus vous serez détendu, meilleure sera votre concentration.
Depuis que j’ai appris que mon cancer était revenu, il y a des jours où je n’y ai vraiment pas pensé. Je vous assure que c’est vrai.
Mais à présent, le fait même de devoir venir tous les jours à l’hôpital, de m’asseoir dans cette salle d’attente tapissée de prospectus d’information, comportant tous dans le titre le mot cancer, puis de m’allonger sous le regard d’acier de Schwarzy pendant qu’il fait exploser un peu plus de mes cellules rebelles, oui je l’avoue, « surprise, surprise ! », je pense maintenant tous les jours au fait que j’ai un cancer.
Le plus étrange, c’est que je ne me sens pas vraiment stressé ou inquiet pour le moment. Au fond de moi, je sais que cela ne sert à rien. Il faut juste aller jusqu’au bout du traitement et voir quel sera le résultat des tests en temps utile. Mais c’est un artifice.
Je peux sentir les peurs irrationnelles embusquées juste à la lisière de ma conscience, comme des ombres indésirables dans une rue sombre de la ville, au cœur d’un quartier qui ne vous inspire pas confiance.
Garder ce genre de craintes sous contrôle, même inconsciemment, finit par avoir des conséquences.
C’est comme une de ces mises à jour exaspérantes ou ces anti-virus qui tournent en arrière-plan sur votre ordinateur. Vous ne pouvez pas voir ce qui se passe, mais c’est dingue comme tout devient lent ! Dans mon cas, cela touche surtout l’application qui gère la concentration.
Peut-être que je devrais penser à augmenter la capacité de mon cerveau !