Chemin faisant (154)
Jérôme Bosch et retour. – Nous étions partis sur un coup de dé : de ses six faces il n’y en avait qu’une qui devait nous conduire à Bois-le-Duc, et ça n’a pas manqué vu que c’était le seul choix que nous nous étions fixés en prévoyant que les cinq autres nous conduiraient à Hertogenbosch, à l’expo du moment que nous nous impatientions le plus de visiter en Europe, dans une ville des Flandres que nous ne connaissions pas jusque-là, au lieu de naissance d’un précurseur du surréalisme ou sur la sixième face du dé portant les initiales homonymes d’un inspecteur du LAPD...
En fait le hasard a bien fait les choses aussi bien pour l’aller que le retour puisque ce matin, vingt-cinq jours après la traversée de l’univers foldingue de Jheronimus Bosch, nous avons quitté la ville de Nevers en compagnie virtuelle (une pleine page du Figaro littéraire) du grand écrivain néerlandais Cees Noteboom dont on lira bientôt en notre langue, avec deux autres recueils importants récemment traduits (dont ses poèmes inconnus en français), un texte spécialement écrit sur Bosch à l’occasion du transfert de l’exposition de Bois-le-Duc au Prado de Madrid, à voir cet été…
Le hasard jamais aboli.– Cees Noteboom nous a accompagnés sur la route de Nevers à Moulins, après quoi, par les hautes terres s’éveillant au printemps de Bourgogne, via Cluny (révérence en passant à la majestueuse caserne ecclésiastique de pierre orangée), nous avons retrouvé notre plus constat compagnon de voyage en ce périple, à savoir Emmanuel Carrère en son très remarquable recueil de chroniques (Il est avantageux d’avoir un endroit où aller) dont la plus étonnante évoque sa rencontre avec l’homme-dé.
The Diceman, L’homme-dé, est un roman d’un certain Luke Rhinehart paru en 1971 en pleines « années hippies », évoquant le parcours extravagant d’un homme qui décide de braver toute raison raisonnable en ne se fiant plus qu’aux ordres capricieux d’un dé jeté, objet de totale liberté en apparence, puis sujet à brève échéance de rupture totale voire de folie.
Or Carrère, toujours curieux des destinées hors normes (comme celles du mythomane tueur Romand ou de l’auteur-activiste russe mégalo Limonov), après avoir découvert, sur internet, la véritable identité du mystérieux Luke Rhineart, est allé à la rencontre de George Cockcroft, vrai nom de ce prof pépère vivant planqué avec les siens à l’abri de ses adulateurs mondiaux, dans un repli paisible de la campagne américaine tout semblable aux collines de Bourgogne que nous traversions tandis que je nous faisais la lecture de ce récit débouchant sur moult questions existentielles liées à notre vrai moi ou à vraie la nature de la réalité…
Le voyage qui nous fait. – Plus que nous faisons le voyage, disait à peu près Nicolas Bouvier, c’est le voyage qui nous fait, et nous l’aurons vécu une fois de plus, avec l’increvable Lady L. au volant de notre Jazz Hybrid blanche à profil caréné de souris d’ordinateur, en multipliant les observations et les impressions de toute sorte, qu’elles soient d’ordre paysager ou architectural, narratologique (les livres qui supportent la lecture orale en automobile japonaise) ou historico-affectif (la mémoire tragique de l’Europe des guerres passées), artistique (quelques musées en passant et quelques églises), bonnement humain ou gastronomique - y compris l’excès de sel dans la cuisine de l’hôtel d’hier soir à Nevers, à signaler sur TripAdvisor !
Ainsi que le relève Emmanuel Carrère, le hasard qui nous arrive procède toujours plus ou moins de nos plans secrets, conscients ou inconscients. Ce n’est évidemment pas par hasard que nous avons fait ce grand tour renouant en partie avec l’ascendance hollandaise de Lady L. et mon goût de la peinture flamande, entre autres réminiscences de Batavia ou des lettres de Vincent à son frangin, à cela s'ajoutant notre désir de Normandie et de Bretagne.
Enfin ce matin, Lady L. a souri de connivence en entendant, à travers ma lecture, Cees Noteboom parler des milliers de livres qui ronchonnent derrière lui, dans sa bibliothèque, comme nous les avons entendus ce soir au Village du livre de Cuisery, non loin de Tournus où elle et moi, tout jeunes gens, avons fait, par Taizé, un beau voyage de ludiques études…