Notes de l'isba (31)
Le bleu du temps.- Le retour ces jours du soleil au bord du ciel de La Désirade coïncide avec notre retour à la maison, mais je ne l'entends pas au sens de Gustave Roud qui pensait à notre fin dernière : je pense à cette maison surplombant le champ très en pente où le chœur des narcisses s'apprête à entonner sa cantate, et le lac là-bas à reflets de lac, et les montagnes d'en face aux crêtes encore enneigées, et le sud qui derrière les montagnes déplie ses vallées et ses collines jusqu'à la mer, et le désert de l'autre côté de la mer, loin de la maison mais où fourmille encore la vie malgré les coups de barre du soleil...
Au Coup de soleil. - Pendant la guerre, un cabaret alerte accueillait à Lausanne des gens de partout, où le poète vaudois Gilles faisait la pige à tous les ennemis de la vie, génial de faconde claire et de verve insolente à traits directs et belle rondeur.
Jean Starobinski évoque ce lieu, et les rencontres musicales de Gstaad défiant le bruit des canons, et Pierre Jean Jouve trouvant bon refuge à Genève (d'où la nuit on entendait très haut les bombardiers anglais se dirigeant vers l'Italie!) puis en Valais chez les Bille, autres seigneurs artistes et princièrement bohèmes et démocrates - toute une Suisse que ma maison...
De l'âme romande. - Si la Suisse est d'Europe et du monde, c'est par ses écrivains (au sens élargi des poètes et des penseurs, des pédagogues et des théologiens, des historiens et des érudits tutti frutti), et nous devons revenir sans cesseà cette maison Suisse (dégagée cela va sans dire de tout chauvinisme suissaud) en attendant que l'Europe entre dans notre confédération d'esprit et d'art plus ou moins brut...
Ce qu'attendent je découvre avec reconnaissance la 38e livraison de la revue Quarto, datée de l'année 2014, consacrée aux accointances helvétiques de Pierre Jean Jouve et préfacée en quatre langues par Stéphanie Cudré-Mauroux, la belle dame de passage en robe à fleurs.
Or la Suisse de Jouve culmine dans un étincelant petit roman restituant ce qu'on pourrait dire l'âme romande en sa double source artiste et puritaine, d'une structure cinématographique merveilleusement elliptique et d'une intense tension psychique et sensuelle, intitulé Le monde désert et fortement marqué par le passage du poète dans la Genève calviniste et sur les hauts du val d'Anniviers, avec la touche russe et française de deux des protagonistes.