Voici ce qu'a déclaré en premier lieu Michel Carlier, au nom de l'Union nationale des Combattants :
Le parcours de cette génération et son mode de vie s’éteignent avec elle.
C’est pour cette raison qu’il est important de dire qui vous étiez. Vous replacer dans l’histoire afin de mieux vous connaître, afin de mieux vous comprendre.
Vous êtes nés pendant la première guerre mondiale, et pour la plupart d’entre vous, vous serez mobilisés pour la deuxième. Vos mères vous ont mis au monde alors que leurs maris venaient de recevoir leur feuille de route et avaient du les quitter, alors qu’elle vous attendait. Elles ont du assumer seules. Vous, vous appartenez aux classes 1934 à 1938, vous êtes nés entre 1914 et 1918. La particularité de ces hommes pour les plus âgés, ils feront deux ans de service militaire en temps de paix et seront rappelés le 2 septembre 39. Pour les plus jeunes ils ne quitteront pas l’uniforme et seront maintenus sous les drapeaux.
Les plus vieux ont 25 ans, les plus jeunes 21. Ce ne sont plus des gamins, loin s’en faut. En plus de leur état de service sous les drapeaux, ils ont pour la plupart plusieurs années professionnelles à leur actif. Nombre d’entre eux sont au travail depuis l’âge de 14 ans, voir moins pour les plus vieux. On enregistre des débuts d’activités professionnelles pour certains a partir de 1927, ils ont alors a peine 13 ans.
Le 2 septembre 1939, ils découvrent l’affiche placardée à la mairie. Deux drapeaux tricolores entrecroisés pour entête et le texte s’affiche en majuscules : mobilisation générale. Ni enthousiasme, ni abattement, la machine se met en marche dans la confusion due à l’ampleur de cette mobilisation. Tous ces hommes ont bouclé leur petit paquetage et convergent vers les gares afin de rejoindre leurs unités.
Pour les plus jeunes d’entre vous présents aujourd’hui, je voudrais porter à votre réflexion ce qui suit. A cette époque, lorsqu’un soldat avait effectué son service militaire, il rentrait chez lui porteur d’un fascicule de mobilisation au cas où.
Imaginez vous recevoir cet ordre aujourd’hui. Ordre de route : en cas de mobilisation générale, ou pour une convocation pour l’accomplissement d’une période d’exercice par voie d’affiche de couleur blanche portant dans le coin gauche, la reproduction de la page du fascicule de mobilisation, le porteur du présent ordre se mettra en route immédiatement et sans délai et sans attendre aucune notification individuelle. Il emportera de chez lui des vivres pour un jour. Il est invité à se munir d’une couverture, d’une paire de brodequins, ou de chaussures de fatigue. Tricot et chandail, chemise de flanelle coton. On fait état également des sous -vêtements, sans oublier les couverts. La valeur de ces effets lui seront remboursés a son arrivée.
En fin de livret, il est signalé que pour les hommes résidant en France a qui un ordre de route a été notifié et qui ne se seraient pas présentés dans les deux jours à compter du jour fixé par cet ordre, seront considérés comme insoumis. Insoumis = rebelle. Synonyme : déserteur.
Ces situations à l’époque restaient des exceptions. Il faut quand même signaler que 25 ans plus tôt pendant la première guerre, l’insoumission se terminait le plus souvent par le tribunal d’exception, que la peine encourue pouvait être la peine de mort pour l’exemple.
La première semaine du mois de Septembre, 2 700 000 jeunes Français se retrouvent ainsi sur le pied de guerre. Dans un deuxième temps, 2300 000 seront mobilisés et feront partie de la réserve. Un huitième de la population de notre pays.
Aujourd’hui, il nous suffit de changer seulement quelques dates et l’on se rend compte de la similitude de leur parcours.
Nous aurons une pensée pour celles pour qui ce fut une épreuve. Pour nous, ce sont nos mères. Pour comprendre à quel point la vie de certains fut étrange, dictée par le destin de leur pays, nous allons rendre hommage a tous ces inconnus qui ont servi la France et dont le nom ne sera probablement jamais cité. Ces garçons ont fait la France, ils sont la France.
Le parcours de l’un d’entre eux a particulièrement retenu notre attention et à travers lui, c’est à tous ces garçons que nous rendrons hommage. Régiment de tradition, il occupe la caserne Sérié de Rivières à Metz. Des hommes illustres ont servi au sein de ce régiment. Jean Moulin fut l’un d’entre eux, caporal au sein d’une unité. Les écrits tout au long des pages des carnets de route de ce régiment en cette période de conflit, expriment souvent au-delà du réconfort et du bon accueil des populations, l’amertume et la consternation. Ce régiment sera de toutes les campagnes.
En Septembre 1939, les régiments du génie se voient confier la maintenance du matériel électromécanique sur la ligne Maginot, trente mètres sous terre. L’état-major affecte les sapeurs du génie à l’aménagement des routes et des ponts, pour les convois. Ils se voient également attribuer l’aménagement de voies ferrées afin d’assurer le transport du matériel. Ils sont sur le front. Pendant ce temps à l’arrière dans les usines d’armement, la main d’œuvre manque. Les spécialistes en armement seront ramenés du front. La semaine de travail atteint couramment les 60 heures. Six jours de travail, une journée de repos.
C’est le premier décembre 1936, que ce garçon quitte sa famille pour se rendre dans l’est. Il rejoint son régiment, le deuxième régiment du génie, cinquième compagnie stationné à Metz.
Notre sapeur mineur est né dans un village français du Nord. La population de ce village à l’époque est de 1300 habitants. Il porte le nom de TEMPLEMARS. Inscrit au registre du recrutement de Lille sous le numéro 1201, il fait partie de la classe 35.
Appelé sous les drapeaux pour une durée de deux ans, il a 21 ans à son incorporation. Le 10 février 38, il est nommé première classe. Sept mois plus tard, il a rempli ses obligations et rentre au pays. Nous sommes le premier septembre 1938. Neuf jours plus tard le 9 septembre, il est rappelé à l’activité pour une période d’un mois. Son retour dans ses foyers sera de courte durée.
Par décret, loi du 20 Mars 1939, il est à nouveau rappelé le 23 Mars, il regagne son régiment. Il est en activité à la déclaration de guerre. Il profitera de sa seule permission de détente pour se marier en décembre 1939 à Wattignies.
Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. Notre sapeur est fait prisonnier, et envoyé en Allemagne. Il refera surface, je pense que l’on peut employer cette phrase, à la Libération. Il est enregistré au rapatriement en date du 7 Mai 1945 après cinq ans à un mois près de captivité, la veille de la Libération, le 8 Mai 1945, date que nous commémorons aujourd’hui.
Il sera démobilisé définitivement le 8 Juin 1945, après 99 mois comme appelé du contingent au service de son pays, huit ans et trois mois.
Mais là ne s’arrête pas l’histoire de ce garçon. Rentré affaibli de sa longue captivité, il devra endurer les souffrances physiques a son retour.
Souffrances dues a un rhumatisme articulaire inflammatoire. Malgré tout il reprendra son activité professionnelle, il n’a guère le choix. Les années passent et la vie semble lui sourire à nouveau. Il va pouvoir commencer à mener une vie de famille heureuse aux cotés de son épouse et de ses deux tout jeunes enfants. C’était trop demander, il décède subitement en septembre 1953, il a 38 ans.
Chaque génération a son parcours, mais force est de constater que cette génération a particulièrement été confrontée à des événements dont elle ne pouvait malheureusement se soustraire. Ils ne furent pas maîtres de leur destinée pour nombre d’entre eux, le retour posera d’énormes problèmes de santé et d’équilibre affectif.
Cette génération ne se plaignait pas. Notre sapeur mineur du deuxième régiment du génie n’a pas échappé a ce parcours chaotique, Jean-Baptiste BRADEFER né a Templemars le 18 février 1915, repose dans le cimetière de notre commune depuis septembre 1953. Il habitait avec sa famille rue du Chevalier de la barre.
Et je puis vous assurer aujourd’hui, d’avoir la chance de côtoyer ces anciens, et particulièrement Jeanne son épouse. Jeanne s’est éteinte l’an dernier, au mois de Juin. Se poser quelques instants aux cotés d’une personne de cette génération, autour d’un café, d’écouter raconter ces moments de vie et d’arrêter momentanément le cours du temps sont des moments inoubliables. Pendant ces instants nous redevenons des enfants qui ont le plaisir à dénouer en leur compagnie les fils de la mémoire, les fils de leur mémoire. Des enfants qui ont eu le plaisir d’entendre raconter une histoire, leur histoire, et d’avoir le souvenir d’un face à face, d’avoir ensemble consulté ces documents jaunis, preuve s’il en fallait une, des documents corroborant les récits.
Merci d’avoir accepté de les raconter .Reposez en paix soldats, repose en paix Jean Baptiste, nous n’avons pas oublié. Hommage vous soit rendu.
Voici ce que j’ai déclaré à mon tour
Vous le savez, nous commémorons aujourd'hui l'anniversaire de la victoire du 8 mai 1945. Mais peut-être n'est-il pas inutile de vous rappeler que demain, nous fêtons l'anniversaire de la déclaration de Maurice Schumann, qui fut longtemps député de notre département, initiateur de la construction européenne. Et mercredi, nous fêtons l'anniversaire de l'abolition de l'esclavage dans notre beau pays, en 1848.
Je ne voudrais pas répéter ce que monsieur Carlier vient de dire au nom des anciens combattants avec autant de fougue et de sens de l'anecdote, mais je crois nécessaire de rappeler au nom de l'équipe municipale, et je crois de toute la population combien nous sommes attachés à ce que ces commémorations soient pour nous un moyen de faire partager ces périodes noires de notre histoire pour que nous sachions éviter leur retour.
Le 8 mai 1945, c'était donc il y a 71 ans. Les témoins de cette époque dont de moins en moins nombreux, comme ceux de la 1ère guerre mondiale ont quasiment disparu précédemment.
Ils nous laissent le devoir de prolonger et d'amplifier leur témoignage, de redonner vie à ce que nous nous n'avons pas vécu mais que nos parents et nos grands parents nous en ont dit pour que cela ne se reproduise pas.
Et l'actualité récente nous montre qu'il ne faut surtout pas imaginer que le retour de la terreur totalitaire est impossible. Les événements tragiques de Paris, puis de Bruxelles sont l'oeuvre de fous qui imaginent voir se répéter l'embrasement de notre continent comme ce fut le cas en 1914 avec l'attentat de Sarajevo contre l'archiduc d'Autriche.
Les forces de l'obscurité ont toujours intérêt au chaos, quel qu'en soit le prix à payer pour les innocents.
Le mot « génocide » est né en 1944. Il a été créé pour pouvoir rendre compte des crimes perpétrés par les nazis à l’encontre des juifs, des slaves, des tziganes durant la seconde guerre mondiale. Depuis, le Rwanda, l’ex-Yougoslavie, le Cambodge, le Soudan, la Roumanie, l’Irak et la Syrie ont vu se répéter des massacres de masse, et la liste n’est pas exhaustive.
Chacun de nous aspire à vivre en paix, dans notre pays, et partout dans le monde. Pourtant il n’y a pas une année où quelque part sur la planète les circonstances, mais aussi des individus ne conduisent de sinistres plans pour supprimer de la carte telle ethnie, telle minorité, telle population supposée aller à l’encontre d’intérêts, de projets qu’elle ne partage pas.
Nous devons nous interroger les uns et les autres sur les raisons qui font que la mémoire ne suffit pas pour éviter que ne se reproduisent les pires catastrophes. Et sur notre continent, ravagé au XXe siècle par deux conflits mondiaux, la perspective de revenir à de telles horreurs n’a pas suffi à les éviter, en Bosnie et en Serbie notamment.
Avant d'en arriver aux pires extrémités, il est de notre responsabilité d'entretenir les consciences et les mémoires, donner de la chair et de la réalité à des événements qui perdent de la substance au fur et à mesure que le temps défile.
Michel Carlier a ensuite remis deux distinctions, l'une à Pierre Mathoré, décoré du titre de reconnaissance de la Nation avec agrafe Afrique du Nord, et l'autre à Alphonse Michel Catania, décoré de la Médaille du Djebel échelon Vermeil.