Surpris, ce matin, deux pigeons en batifolage. Après un bon bain dans la baignoire dont je viens de changer l’eau, madame s’ébroue avec vigueur et s’installe au soleil, les plumes ébouriffées. Depuis leur case où ils ont façonné un nid de brindilles et de feuilles mortes, monsieur l’interpelle. Elle l’ignore superbement, tout au délice alangui de goûter la tiédeur de l’air. De guerre lasse, il la rejoint d’un coup d’aile et sautille autour d’elle, le jabot gonflé d’importance. Les yeux fermés, elle simule avec art une belle indifférence mais ne le repousse pas. Enhardi, il picore sa tête de quelques petits coups de bec, fouille sa nuque comme pour l’en débarrasser de quelque parasite, la contourne en roucoulant, semble déposer sur sa joue un baiser langoureux. Elle se prête au jeu de bonne grâce et peut-être même avec plaisir. Mais il s’écarte soudain comme s’il renonçait à la séduire plus avant. Elle fait semblant de vouloir se relever. Il accourt alors en trois pas et la chevauche sans barguigner. L’affaire n’aura pas duré dix minutes. Les scènes de ce genre sont évidemment courantes à la campagne et les petits paysans d’autrefois y ont tous assisté avec les animaux de la ferme. On dit que c’est la Nature ! Elle impose en effet aux animaux d’assurer la perpétuation de leur espèce. Encore sont-ils obligés de respecter les saisons les plus propices à la survie des petits. Les périodes du rut sont donc relativement courtes pour donner à la femelle les conditions optimales pour porter ou couver les rejetons et les élever. Après les avoir façonnés d’un peu de glaise et avoir tenté d’insuffler dans leur cerveau quelques grammes d’intelligence, le dieu de la bible aurait ordonné à Adam et Ève de se multiplier comme les grains de sable dans le désert et les étoiles dans le ciel. Que l’injonction provienne de la nature ou de quelque dieu barbu, l’Homme semble avoir amplement obéi. Et d’autant plus volontiers que non seulement il peut pratiquer l’accouplement toute au long de l’année mais qu’il en éprouve même un plaisir qui dépasse, et de loin, sa fonction initiale d’incitation à la reproduction. Dans son film La guerre du feu, Jean-Jacques Annaud présente la copulation face à face comme un progrès vers l’humanisation de son héros. Mais la civilisation est-elle vraiment, en l’occurrence, un progrès ? Dans toute société humaine, des codes de bonne conduite ont été érigés. Tu honoreras ton père et ta mère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas la femme de ton voisin. Hélas ! Homo Sapiens a manifestement conservé dans ses gènes de lourdes traces de l’époque lointaine où il n’était encore qu’un hominidé comme les autres. Et ses descendants ne respectent pas toujours les bonnes règles du "vivre ensemble". Certains tuent sans honte ni regret au nom des principes ou des préjugés les plus fous D’autres volent sans vergogne pour s’enrichir encore et encore. D’autres enfin, les mâles, ne savent pas résister aux vieilles pulsions animales remontant du fond des âges et convoitent non seulement la femme, la fille ou la mère de leur voisin mais en réalité toutes les femmes qui entrent dans leur champ de vision. Comme si la civilisation, la société et l’éducation ne les avaient jamais effleurés ! Combien faudra-t-il encore de millénaires pour que le comportement de l’homme corresponde enfin au statut d’être intelligent et civilisé qu’il s’est approprié ? Combien de millénaires pour qu’il abolisse définitivement l’esclavage de ses semblables ? Combien de millénaires pour qu’il renonce au meurtre de son frère pour des idées, des croyances ou un plat de lentilles ? Combien de millénaires pour qu’il respecte la femme comme une personne aux mêmes droits que lui ? Combien faudra-t-il de millénaires pour que la raison du plus fort fasse place à l'intelligence et à la fraternité ? Voilà qui laisse hélas bien des choses à penser.
(Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)