vania moÏsseiev
Drame en 4 tableaux
Par LILIANOFPersonnages
Le Récitant
Ivan Vassilievitch Moïsseiev dit Vania – 20 ans
Vassili Trophimovitch Moïsséiev : Son père
Ioana Konstantinova Moïsseieva : Sa mère
Semione Vassilievitch Moïsseiev : Son frère
Sergueï Ivanovich Bougaiev : son ami.
Le Colonel Malcine
Le capitaine Platonov
Le sergent Velokian
Boris
Anton
Igor
Pavel : soldats
Le docteur Rastanov
Le pasteur Ivanov
Natalia et
Dimitri : deux amoureux
Soldats, villageois
La scène est en 1972, à Kertch, en Crimée.
L’action s’inspire de faits réels.
Source d’information : « Vania Moïséieff, le jeune martyr de Volontirovka » de Sergiu Grossu. © 1976 Edition des catacombes
PROLOGUE
Le rideau est abaissé.
Scène première
LE RECITANT
26 juin 1940, La province roumaine de Bessarabie, annexée à l'Union Soviétique, devient officiellement République Socialiste Soviétique de Moldavie. Dès ce jour, le gouvernement du pays de Lénine s'emploiera à couper les racines et briser l'identité culturelle de ce peuple latin. De nombreuses familles moldaves seront ainsi déportées en Sibérie ou en Asie centrale. La politique de dénationalisation va d'abord s'employer à donner des noms russes aux lieux et aux habitants. C'est ainsi que notre jeune héros portera le nom d'Ivan Vassilievitch Moïsséiev, Vania pour les intimes. Volintiri, son village natal a été renomme Volontirovka.
Plus encore que son identité ethnique et culturelle, l'identité religieuse de ce peuple deviendra la grande préoccupation du gouvernement de Moscou. L'Union Soviétique, fondée sur une idéologie intolérante et athée, ne peut accepter dans ses frontières une société dans laquelle le clergé exerce quelque influence sur la population. Juifs et orthodoxes, adventistes et baptistes, vieux croyants et molokanes[1] sont continuellement pourchassés. Les églises sont transformées en maisons du peuple, cinémas, salles de sport. Naoukia i Religia[2] pourra bientôt claironner haut et fort que la superstition et l'obscurantisme ont enfin été éradiqués de cette région attardée.
Nous sommes le vingt juillet 1972, dans le cimetière de Volontirovka, ou, si vous préférez, de Volintiri.
Le rideau se lève sur un enterrement au cimetière de Volontirovka
Scène II
IVANOV - VASSILI - IOANA - SEMIONE - SERGUEÏ - Villageois
IVANOV
Prenez courage, ma chère Ioana Konstantinova. Voyez comme nous sommes venus nombreux. Tout le village aimait Vania. Ils ont voulu le saluer une dernière fois. Même ceux qui n'aiment pas le Christ sont présents pour rendre hommage à sa foi.
IOANA
Oui, chacun savait ici combien il vivait pleinement ses convictions. Ils en reconnaissaient les effets sur ses paroles et sur ses actes. Toujours prêt à aider, toujours prêt à aimer. Ceux qui le méprisaient ou le malmenaient n'étaient pas exclus de sa gentillesse. Ceux qui étaient dans la peine et la détresse savaient toujours vers qui se tourner pour trouver des paroles de réconfort.
SERGUEÏ
J'ai eu le privilège de le côtoyer durant les quelques mois où j'étais mobilisé à Kertch. Vania était vraiment un exemple pour ses compagnons de combat. Combien de fois j'ai failli renier ma foi, face à la pression de mes supérieurs et la méchanceté de mes camarades tandis que Vania paraissait insensible aux menaces, aux coups et aux humiliations. Et pourtant il souffrait aussi. Il ne disait rien. Il priait. Il priait pour nous. Il priait surtout pour ceux qui le maltraitaient. Plusieurs de nos camarades ont été touchés par un si puissant témoignage. Ils ont accepté de suivre Jésus-Christ et ont rejoint les rangs des combattants de l'ombre.
IOANA
Merci Sergueï Ivanovitch. De telles paroles nous remplissent de consolation. Sa mort aura servi le royaume de Dieu, d'une façon ou d'une autre. Mais l'épreuve est si cruelle. Vania avait à peine vingt ans. Il écrivait dans ses poèmes qu'il n'était qu'un vagabond sur la terre.
IVANOV
C'est vrai, Ioana. Maintenant, le voilà dans sa véritable maison. Le voilà auprès de celui qui essuie les larmes de tous les yeux. Pour lui, plus de tourments. Il a terminé la guerre en vainqueur et il reçoit maintenant sa récompense.
SERGUEÏ
Il n'aura plus à redouter l'adversité. Il n'aura plus à craindre les coups du K.G.B. à la porte. Maintenant, il est totalement libre.
VASSILI
Je ne comprends pas... Je ne comprends pas... Vania était pourtant un excellent nageur. Comment a-t-il pu se noyer ainsi. Selon le rapport, la profondeur était d'un mètre cinquante-six, et Vania mesurait un mètre quatre-vingt-cinq.
SEMIONE
La profondeur ne change rien à l'affaire. On a vu des ivrognes se noyer dans un caniveau. Dix centimètres suffisent quand on est imprégné de vodka.
VASSILI
Tais-toi Semione. Je ne te permets pas. Je sais que tu hais ton frère, mais tes insinuations sont infâmes. Vania était un modèle de sobriété. Tu le sais très bien.
SEMIONE
Mon frère était surtout un ennemi de Lénine, donc un ennemi du progrès et un ennemi de la raison.
VASSILI
Ce n'est pas le moment d'en débattre.
IVANOV
Vous avez raison, Vassili Trophimovitch. Laissons de côté ces querelles familiales. Moi aussi, je trouve étonnant que Vania se soit noyé dans une eau aussi peu profonde.
SEMIONE
Il a peut-être eu une insolation, ou un malaise. Il aura posé le pied sur une vive.
IVANOV
Á moins que ce colonel Malcine nous ait caché certaines vérités.
SEMIONE
Un officier de l'Armée rouge dit toujours la vérité. Contrairement à vous, popes, rabbins et pasteurs, qui depuis des siècles maintenez le peuple dans l'ignorance.
IVANOV
Calmez vous, Semione Vassilievich. Je vous en prie.
IOANA
Le Capitaine Platonov, qui doit accompagner la bière, nous donnera peut-être des détails sur le déroulement de ce drame.
SERGUEÏ
Mieux vaut ne pas l'espérer.
VASSILI
Voici l'armée, avec la dépouille de notre bien aimé.
Scène III
LES MEMES - PLATONOV - Soldats
Quatre soldats en uniforme, accompagnés du capitaine Platonov, portent le cercueil de Vania. Il est en plomb, scellé, recouvert d'un drapeau rouge, au marteau et à la faucille.
PLATONOV
Camarade Moïsséiev, camarade Semione Vassilievitch, chère Ioana Constantinovna. Au nom de la glorieuse Armée soviétique et de tous ses héros, au nom des troupes stationnées en Crimée et au nom de l'unité 61968 de Kertch, nous vous apportons nos condoléances solennelles mais sincères. Votre fils Ivan Vassilievitch s'est toujours comporté dans notre unité comme un excellent soldat, il était respecté de ses camarades et apprécié de sa hiérarchie. Nous envisagions sérieusement de le faire passer caporal. Malheureusement, ce drame inattendu nous a privé d'un élément irremplaçable.
IOANA
Merci, capitaine. S'il vous plaît. Nous aimerions tant savoir comment ce drame s'est produit. Ivan était pourtant très bon nageur.
PLATONOV
Malheureusement, je ne puis rien vous dévoiler. Secret militaire. Vous me comprenez, n'est-ce pas ? Mais si vous souhaitez obtenir des précisions, il vous est possible d'adresser une demande de formulaire auprès de son chef d'unité, le Colonel Malcine.
IOANA
Je comprends, camarade.
VASSILI
Capitaine, permettez-nous de rendre un dernier hommage à notre cher fils. Nous voudrions une dernière fois voir son visage.
PLATONOV
Malheureusement, ce cercueil est en plomb et scellé. Il n'est pas possible de l'ouvrir. Je regrette de ne pouvoir accéder à votre demande.
VASSILI
Mais pourquoi ?
PLATONOV
C'est le règlement. Je ne peux rien y changer.
IVANOV
Vassili Trophimovitch, ce militaire a quelque chose à nous cacher sur la mort de Vania. J'en ai la profonde conviction.
VASSILI
Permettez-nous d'insister, capitaine. Vous comprenez notre douleur.
SEMIONE
C'est le règlement. Le capitaine l'a dit. Nous n'avons pas le droit de déroger.
VASSILI
Le règlement militaire s'applique dans l'armée. Nous ne sommes pas à la caserne et la loi autorise à embrasser le regretté disparu avant de le mettre en terre.
IVANOV
Nous allons ouvrir cette sinistre bière.
SEMIONE
Mais vous ne pouvez pas ! Capitaine Platonov. Empêchez-les !
PLATONOV
Je suis embarrassé. Mais je crains qu'ils n'aient raison. On ne peut décemment le leur interdire.
IVANOV
La pelle de ce fossoyeur fera l'affaire.
Ils commencent à desceller le cercueil. Platonov et Semione sont brusquement mal à l'aise.
SEMIONE
Faites attention ! Le drapeau ! Le drapeau !
PLATONOV
Etes-vous vraiment certain de vouloir le voir. Le séjour dans l'eau laisse des traces sur le corps.
VASSILI
Nous sommes prêts.
Ils retirent le couvercle.
SERGUEÏ
Il a des ecchymoses sur le visage.
PLATONOV
Je vous avais prévenu.
IVANOV
C'est suspect. Quelqu'un a-t-il un appareil photo.
SERGUEÏ
Moi j'en ai un.
SEMIONE
Vous n'allez pas photographier ? C'est indécent.
Sergueï photographie le défunt.
Maintenant cela suffit. Replacez le couvercle et le drapeau. Et continuons.
VASSILI
Il faut avoir le coeur net de tout ceci. Nous devons voir le reste du corps.
SEMIONE
Non. Pas question ! Je m'y oppose.
On commence à déshabiller le corps.
PLATONOV
Il faut que je m'en aille. Je suis désolé. Les impératifs de ma fonction. Vous comprenez. Soldats ! A mon commandement ! Pas sans cadence !
Les militaires sortent précipitamment.
IOANA
Mon Dieu ! C'est épouvantable.
VASSILI
La noyade peut-elle laisser de telles traces sur le corps ?
IVANOV
Absolument pas ! Ce sont des brûlures, des coupures et des contusions. Voilà ce que l'armée a voulu vous cacher. Cher Vassili, Chère Ioana. C'est très dur, mais c'est la vérité. Il vous faut l'accepter : Ivan ne s'est pas noyé accidentellement. Il a été torturé, puis assassiné, à cause de sa foi.
IOANA
Comment pourrai-je oublier ? Comment pourrai-je pardonner ? Que le Seigneur me vienne en aide !
VASSILI
Pourra-t-il refermer une si terrible blessure dans nos vies ?
IVANOV
Soyez consolés, chers frère et soeur, dans ce moment terrible, souvenez-vous des martyrs. Souvenez-vous d'Etienne, le témoin du Christ qui n'a pas craint pour sa vie. Ivan a maintenant rejoint le foyer de ces héros. Il a consacré sa trop courte vie au service de l'Evangile et maintenant, le voilà enfin libre. Il habitera bientôt la cité qu'il a entrevue dans son miraculeux voyage.
RIDEAU
[1] Sectes orthodoxes
[2] Science et Religion, revue de propagande athée