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Roland Chopard | [C’est un peu plus compliqué]

Publié le 26 mai 2016 par Angèle Paoli

[C'EST UN PEU PLUS COMPLIQUÉ]

C' est un peu plus compliqué : la voix suit ou ne suit pas, n'écoute ou n'écoute pas, cherche aussi une voie, elle laisse mûrir, traîner, elle abandonne, reprend en vain. Un processus de décomposition. Un retour, une reprise semble toujours possible, elle retrouve ses illusions en oubliant souvent le contexte de la matérialisation des phrases. Ces phrases apparemment figées sont au moins des incitations à poursuivre, avec ou non le secours d'autres paroles.

Des pulsions animent la voix, en même temps qu'un lent travail de rumination lui est nécessaire. Palimpseste continu, l'acte d'écriture est une parodie, un écho de vestiges insaisissables. Le spectacle de la réalité, pas plus que les références culturelles ne sont là pour éclairer vraiment. Elle est toujours en quête de lieux sans limites car il y a tant de repères à fuir, de désastres difficiles à décrypter, de signes involontaires qui rappellent l'impuissance.

Et les années passent... Quelquefois, avec une approche lente et progressive pour tenter de tordre encore mieux la langue, l'écriture se forme dans un état second (mais il n'y a pas besoin pour cela, d'adjuvants, de paradis artificiels). Fragments d'obscurités jetés au regard, soumis à la sagacité comme si un souffle allait soudain tout transformer en quelque chose d'inouï. Suite à des élans non dépourvus d'agressivité intellectuelle ou au contraire dans un état méditatif proche de la paresse. Ou de la sagesse. Inflexions du hasard et écoute distraite de ce qui émerge du mental. Le regard cherche alors un lieu non encore atteint. Une pureté. L'expression véritable est alors peut-être trouvée. Des bribes deviennent des vérités, du moins au moment où elles naissent.

Seule réalité tangible, la voix est ainsi confrontée au (re)commencement interminable des livres disparus. C'est dans ce travail décisif qu'elle ne peut qu'exister. Parce que le non-dit est lié à une profonde blessure. S'il y avait une cause ou une vérité à chercher, ce serait dans ce sens.

L'œil est toujours dans le même abîme obsessionnel, induisant des bribes mais dispersant tout ce qui se trame trop aisément quand les désirs s'obstinent avec les mêmes audaces pour (ac)coucher sur le papier de cette trace inouïe que personne n'attend.

Mais, continuellement dans l'éphémère, la parole pourrait devenir violente quand elle doit bien reconnaître son incapacité à finalement se fixer. Elle s'arme alors de patience pour ne pas crier son désarroi, pour ne pas incriminer tous les rouages castrateurs du monde qui l'entoure (même s'ils existent). C'est l'équilibre instable, le porte-à-faux qui ferait qu'une décision irrémédiable pourrait intervenir et précipiter la chute et un nouveau retour au silence, cette fois définitif.

Roland Chopard, Sous la cendre, 6 suites & variations pour voix seule(s), Éditions Lettres Vives, Collection entre 4 yeux, 2016, pp. 65-66-67. Postface de Claude Louis-Combet.

Roland Chopard |  [C’est un peu plus compliqué]


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