Galerie de portraits (24) : Nora Fraisse

Publié le 31 mai 2016 par Legraoully @LeGraoullyOff

It wasn’t me that made him fall, no, you can’t blame me at all ! Who killed Davey Moore ? Why an’ what’s the reason for ? (Bob Dylan)

Quand un(e) adolescent(e) victime du harcèlement scolaire se suicide, si vous interrogez les principaux acteurs de la vie dans l’établissement qu’il (elle) fréquentait victime de son vivant, vous obtenez probablement les réponses qui suivent.

Les enseignants : « Nous n’y sommes pour rien ! Nous ne sommes pas formés pour ça ! Bien sûr, on aurait peut-être pu éviter le pire si nous avions sévi contre ses tourmenteurs, mais leurs parents se seraient plaints, il est devenu impossible de faire montre d’autorité sans mettre son poste en jeu, nous aussi avons des enfants à nourrir. Nous avons déjà assez de mal à affronter chaque soir notre tas de copies, à appliquer les réformes décidées par notre ministre du fond de son tabernacle et, surtout, à faire rentrer nos cours dans le citron d’un troupeau de boutonneux abrutis par leurs dix mille écrans, alors nous n’avons vraiment pas le temps de nous occuper de l’état moral de chaque élève ! »

Les élèves : « Nous n’y sommes pour rien ! Nous ne pouvions pas deviner que ça allait lui faire mal à ce point-là ! Nous n’avions rien contre lui (elle), mais vous savez comment c’est, il suffit qu’un type un peu plus costaud que les autres décide d’embêter un plus petit que lui juste pour rigoler, ensuite toute sa bande le suit et, enfin, c’est toute la classe qui s’y met car personne ne veut être mis au ban du groupe en prenant la défense de la tête de turc de service ! Et puis nos parents ne nous disent jamais rien, ils ne savent même pas, pour la plupart, se servir d’un smartphone, ce ne sont pas eux qui vont nous empêcher de balancer des saloperies à propos de tel ou tel sur Twitter ! »

Les parents d’élèves : « Nous n’y sommes pour rien ! Nous ne sommes pas tenus au courant de ce qui se passe au collège. Nous travaillons toute la journée et, quand nous rentrons le soir, nous n’avons pas la tête à faire la leçon à nos enfants. De toute façon, aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, ils nous échappent complètement, ils n’écoutent plus rien, et si nous avions recours aux châtiments corporels, ils nous dénonceraient à la police ! Et puis entre nous, il faut vivre avec son temps : l’époque où le père avait droit de vie et de mort sur ses enfants est révolue et nous ne voulons pas faire comme nos propres parents qui nous gueulaient dessus à longueur de journée ! »

Le CPE : « Je n’y suis pour rien ! J’ai sous ma responsabilité plusieurs centaines d’élèves, ça ne fait même que croître avec toutes ces fermetures d’établissement, il est normal que dans le tas, il y en ait un(e) dont je ne peux pas à repérer la détresse, je ne peux pas avoir un œil surtout le monde. Quand un élève est vraiment turbulent et perturbe le bon déroulement des cours, j’interviens, mais tant que ni les profs ni les pions ne disent rien, je ne vais pas me déranger, il faut bien que je m’acquitte aussi de mes responsabilités administratives. Et puis entre nous, s’il (elle) allait si mal que ça, il (elle) aurait pu venir m’en parler : mon bureau est facile à repérer et ouvert à tous, que je sache ! »

Les pions : « Nous n’y sommes pour rien ! Nous faisons de la surveillance pour payer nos études, nous ne pouvons pas être là tout le temps, nous n’avons pas de rapport suffisamment régulier avec les élèves pour pouvoir régler toutes les histoires. De toute façon, les gamins savent pertinemment que nous avons presque le même âge qu’eux, s’en faire respecter nous est pratiquement impossible : nous pouvons agir à la rigueur quand il y a une bagarre ou quand nous en voyons un qui se drogue, mais nous n’allons pas commencer jouer aux SS ; pour ce qui a été dit sur les réseaux sociaux, ça ne nous concerne pas, nous ne sommes là que pour ce qui se passe dans l’enceinte du collège ! »

Et les parents du (de la) jeune défunt(e), me direz-vous ? Eux, ils ne disent rien. Rien de pire que voir mourir son enfant ne peut arriver à quelqu’un. Quand ça arrive, les parents se murent dans un muet chagrin dont rien ne saurait les libérer… À moins qu’ils aient suffisamment de force morale pour faire de leur tristesse le carburant d’un combat inégal contre une institution scolaire frileuse, pour briser le silence qui entoure encore trop souvent le harcèlement scolaire, pour oser enfin réaffirmer qu’on va à l’école pour s’instruire, pas pour se détruire, et que l’école n’a pas à être le lieu de bizutage moral qu’elle est encore trop souvent. Nora Fraisse est de ceux-là. Bravo, Nora, nous sommes avec toi !

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