(Dialogue schizo)
À propos des « piges » et autres frais dus, ou pas, aux écrivains utilisés dans les lieux publics, tels que salons du livre, débats, lectures, festivals et autres manifestations. Rebond sur une polémique lancée par Sébastien Meier dans Le Temps et développée sur les réseaux sociaux et dans Le Courrier sous la plume d’Anne Pitteloud...
Moi l’autre : - Et toi, tu en penses quoi de cette agitation soudaine autour de la nécessité de rémunérer les écrivains en service « commandé » ?
Moi l’un : - J’en pense que Sébastien Meier n’a rien inventé, puisque Richard Garzarolli posait le même genre de questions au début des années 1970, et que la situation a pas mal évalué depuis lors.
Moi l’autre : - T’as vraiment l’impression que la « chaîne du livre », en Suisse romande, peut être qualifiée de mafia ?
Moi l’un : - C’est évidemment n’importe quoi, mais Sébastien parle en vieux gauchiste et je trouve ça rigolo.
Moi l’autre : - Il est pourtant mal placé pour lancer son coup de gueule, vu que son éditrice de chez Zoé passe pour payer ses auteurs (si,si) et que les libraires ne l’ont jamais traité en paria.
Moi l’un : - Bah, c’est le côté bisounours gâtés de nos jeunes auteurs. Sa polémique est aussi mal cadrée à la base que les attaques de Quentin Mouron contre le milieu littéraire romand, dans La combustion humaine, mais il n’en reste pas moins que la question de la rétribution de certaines prestations de l’écrivain, en certaines circonstances, peut se poser honnêtement. Les écrivains alémaniques, plus « professionnels » ou simplement pragmatiques que leurs homologues francophones, ont plus ou moins réglé la question de façon plus claire...
Moi l’autre : - On demande à JLK ce qu’il en pense ?
Moi l’un : - JLK s’en fout. Ou plus exactement, JLK a le défaut des généreux et des paresseux. C’est un type qui a beaucoup payé de sa personne et de ses services sans compter.
Moi l’autre : - Pourtant c’est bien lui aussi qui répète volontiers que le scout est bon, mais n’est pas poire.
Moi l’un : - Exactement, et tu te souviens du jour où le TJ de la télé romande l’a convié à parler, avant tout le monde, du livre exhumé d’Albert Camus, Le Premier homme, sans lui rembourser le voyage Lausanne-Genève ni lui proposer un kopek de simple « pige » ?
Moi l’autre : - Ah oui, et sa réaction en privé avait été aussi vive que celle de Sébastien Meier, mais il n’en a pas fait une affaire publique. D’ailleurs ce n’était pas en tant qu’écrivain mais que chroniqueur littéraire à 24 Heures qu’il était « invité » ?
Moi l’un : - Exactement, mais l’ambigüité était du même ordre, vu que les gens de la télé estimaient lui faire honneur en l’accueillant au fenestron…
Moi l’autre : - Pour en revenir aux écrivains sollicités « professionnellement », faut-il alors, selon toi, les rétribuer, et quand, et comment ?
Moi l’un : - Quand JLK, conseiller littéraire de la société Arts et Lettres, à Vevey, proposait l’accueil d’écrivains pour une soirée genre présentation personnelle, débat ou conférence, cela ne se discutait pas : l’auteur était payé, 500 francs de l’époque (dans les années 80-90), défrayé pour son voyage et son séjour à l’hôtel, plus un repas d’accueil avec les gens du comité. Mais l’entrée était payante, et il y avait parfois plus de 100 personnes dans la salle, avec des « pointures » style Yves Bonnefoy, Michel Butor, Georges Haldas ou Anne Cuneo.
Moi l’autre : - Celle-ci a pourtant demandé plus…
Moi l’un : - Anne, à l’école alémanique, avait son tarif de base : 800 francs le show.
Moi l’autre : - Et Kenneth White, on cafte ?
Moi l’un : - C’est là que JLK a trouvé qu’on en demandait trop au scout et qu’il a cessé de collaborer à l’institution veveysane. La « star » en question exigeait une somme astronomique, et le comité a commencé à moduler ses « piges » selon la notoriété de l’invité. Avec la pige obtenue par le «géo-poète », Sébastien Meier aurait pu se payer une 2CV neuve…
Moi l’autre : - Est-ce à dire qu’il faille fixer une Pige de Base Inconditionnelle (PBI) pour chaque prestation demandée à un écrivain ?
Moi l’un : - Cela me paraît difficile, voire impossible dans un système comme le nôtre. Mais là encore, l’expérience extra-syndicale de JLK peut fixer quelques repères. Quand il a été invité aux Etats-Unis, puis au Canada (au salon du livre francophone de Toronto), au salon du livre de Balma, au festival Petite Fugues de Besançon, à une tournée en Slovénie et en Grèce pour y parler de Jacques Chessex, ou au Congo pour le congrès des écrivains francophones, entre autres, à chaque fois il a été défrayé, soit par le festival littéraire local, soit par les universités sollicitées par les services de Pro Helvetia ou du Département fédéral des affaires étrangères. Bien entendu, cela ne suffisait jamais à couvrir tous ses frais, mais les expériences exceptionnelles qu’il a accumulées lors de ces diverses aventures enrichies de rencontres et de découvertes sans nombre valaient toutes les « compensations » et autres rallonges de subventions…
Moi l’autre : - La question de la rétribution des écrivains relève-t-elle de la politique ?
Moi l’un: - Sûrement, si la prestation passe par les réseaux liés à la politique, comme Pro Helvetia ou l’Office de la culture. Mais dans le domaine de la culture actuelle, où la situation est constamment embrouillée par les aléas et autres fluctuations du marché et du « star-system », il paraît aussi difficile que faux d’établir je ne sais quel « salaire de base » officiel…
Moi l’autre : - Pourquoi faux ?
Moi l’un : - Parce que l’écrivain vrai, ou le véritable artiste, sont le plus souvent irresponsables, trop occupés qu’il restent par La Chose. Tu vois Charles-Albert Cingria, éternel fauché, sempiternellement humilié par les nantis le traitant de pique-assiette, se mettre à faire des comptes. Je te rappelle que JLK, quand il a rencontré Lady L., avait une pile de commandements de payer et d’avis de saisie aussi épaisse qu’un oreiller.
Moi l’autre : - Ouais, là tu prends le pire exemple. Comme journaliste, le même JLK s’est fait « oublier » par la société des rédacteurs en prétendant que la corporation était surpayée… grave le JLK. Mais comment conclure plus sérieusement ?
Moi l’un : - Tu as envie de conclure ? Moi pas.
Moi l’autre : - Ni moi. Ah mais, Lady L. nous appelle à table !
Moi l’un : - Eh, chic, mais c’est payé ça ?