K une lettre bien difficile (il n'y a que 2 pages et demie de mots commençant par K dans mon dictionnaire de poche!)
J'ai bien quelques Kemer, Kessler, Korn ou Kussler et quelques autres mais pas encore assez étudiés pour vous en parler.
Alors , j'ai pensé à Auguste Silice, le neveu de Léopold... Quel rapport avec le K me direz-vous, d'abord parce qu'il a écrit une kyrielle de lettres et donc de mots, qu'il a aussi parcouru une kyrielle de kilomètres pour se rendre au pays des Khmers ou il a sans doute mangé des kumquats ou des kakis. Mais j'arrêterai là ma liste de mots en K vous parler d'Auguste. J'avais fait sa biographie, il y a quelques temps sur ce blog, je précisais en fin de texte que j'avais la chance d'avoir récupéré une grande partie de sa correspondance avec sa famille. Je vous propose donc de le retrouver au début de son premier voyage début 1914 vers l'Indochine. Il vient de remporter un concours et la bourse qui accompagne cette épreuve pour orner le livre de Boissière, "Les génies de Mont Tan-Vien". Il part alors pour un an au Tonkin où il rejoint sa mère divorcée de son père et remariée à un fonctionnaire colonial, résidant dans ce protectorat. Il écrit à son oncle Léopold.
Paquebot Louksor le 11 juin (1914)
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Réformé pour des raisons de santé, Auguste s'engage malgré tout au début de la guerre dans le 21e bataillon colonial.
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Lettre à l'en-tête du CERCLE DE HUE
Hué le 24 novembre 1914 Mon cher OncleJe vous embrasse tous et suis heureux de vous savoir en bonne santé. J'ai reçu ta lettre hier et tu ne peux pas te faire idée de la joie qu'elle m'a causée. Je vivais dans les transes ayant su par les télégrammes le bombardement de Nancy. Nous avons reçu les journaux mais ils ne nous apprennent pas grand chose vu que nous avons ici beaucoup plus de nouvelles que les journaux français n'en publient. Nous recevons tous les télégrammes russes par le japon et les télégrammes anglais par l'Inde et Hong-Kong et nous n'avons les nouvelles qu'avec un jour de retard. Et elles sont bien plus copieuses que dans les journaux français. Le décret qui interdisait aux Européens de rentrer en France vient d'être rapporté aussi je vais rentrer le mois prochain pour prendre part aux hostilités, et je t'avoue que je n'en suis pas autrement fâché. Je vais monter à Hanoï dans trois jours et de là je pense m'embarquer pour la France par le courrier anglais. Au commencement de la guerre il était interdit à tout européen de rentrer à moins de raison de santé, car les chinois nous ont fait ou ont essayé de faire tous les embêtements possibles. Les Annamites se sont tenus tranquilles, on a profité du mouvement pour crocher (?) quelques agitateurs à qui on a coupé le cou par la même occasion. A Tourane nous étions mobilisés et sur nos gardes, car à 8 kilomètres se trouve la ville entièrement chinoise de Fai-Foo et il y a 20 mille chinois qui nous détestent. Nous avions à leur opposer une compagnie d'infanterie coloniale une batterie d'artillerie de montagne et 150 européens colons et fonctionnaires. Heureusement que mon beau-père a de la poigne, il a fait arrêter les chefs des congrégations chinoises et les mandarins et leur a dit que leur tête répondait des agitations qui pourrait se produire. Néanmoins il y a eu 2 douaniers pris au Quảng Ngãi, on les a attachés au soleil pendant une journée. L'un est mort, l'autre fou, un autre a pu se sauver à Tam-Ky blessé au bras d'un coup de lance. Le chef de poste de Son-La a disparu. On n'ose pas penser à ce qui a pu lui arriver et on souhaite qu'il ait été tué d'un seul coup. C'est tout ce qu'on peut dire et ce serait heureux. Je suis allé à Tem-Ky en auto avec mon fusil de chasse et des balles et de chevrotines plein mes poches. Il eut été rafraîchissant d'en expédier quelques uns ad patres. Mais il y avait des ordres, mais maintenant tout est tranquille ou à peu près et on peut de nouveau circuler dans les provinces. Cela ne m'a pas empêché d'aller peindre et excursionner mais j'avais mon fusil et 2 lerihs (?) armés avec moi. Ces expéditions picturales avaient un coté guerrier qui ne me déplaisait pas. Si tu voyais ce pays-ci, je crois que tu serais comme moi transporté d' enthousiasme. Il n'y a pas de mots pour dire ce que c'est le ciel d'ici. La couleur , les gens, les palais, c'est inouï. Les promenades en sampan au clair de lune sur la rivière des parfums, avec les jonques qui descendent et le chant des sampanières. Les pagodes et les tombeaux des empereurs. Chaque tombeau est un endroit un peu plus grand que le plateau de Malzèville. Voici la recette pour faire un tombeau impeérial, on choisit une plaine et de main d'homme on fait des collines qui ont presque 200 mètres de haut, plantées d'arbres, on fait des étangs, des bassins entourés de mosaïques et d'émaux, là dedans on bâtît 3 ou 4 palais d'hiver et d'été pour l'âme de l'empereur, quelques pagodes des jardins. Et on va enterrer l'Empereur très loin de là dans un endroit perdu de la montagne et encore de façon à ce que sa dépouille ne soit pas déterrée. Le tout est magnifique.
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La suite prochainement...