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Christiane Veschambre | Une Hôtesse minuscule

Publié le 15 juin 2016 par Angèle Paoli

UNE HÔTESSE MINUSCULE

E lle est venue dans le silence.

Tout racontage tu.

Son peu de mots. Posés à pied très légers sur un sol impalpable - pouvait-on croire.

En vérité fichés comme mégalithes chus de l'espace.

En vérité les deux à la fois.

N'ont pas surgi. Ne m'ont pas fait trembler. Sont apparus sans qu'on se rende compte, qu'on en prenne acte. Un peu comme des mots - son peu de mots- insensiblement révélés par une encre sympathique.

On s'est retrouvée à les lire. Quand ils vous tombaient sous les yeux, d'abord. Et ils étaient là, sous les yeux, on ne les avait pas vus tomber.

On s'est retrouvée à arranger les circonstances, sans jamais de préméditation, qui permettraient de les lire. Les circonstances du silence.

On s'était mise à faire confiance. On faisait confiance à la poussée de silence qui nous réveillait le matin, au dégoût - son goût perdu - de la parole, devenue monnaie de singe.

On s'était mise à recueillir le goutte-à-goutte d'une langue qu'on tâtait pour vérifier son évidence. Une langue évidée du superflu - au très peu qui restait, on faisait confiance.

On était retournée en enfance.

On s'était quittée pour se déposer on ne savait entre quelles mains.

C'est ainsi que sont venus sous mes yeux les poèmes d'Emily Dickinson, comme des anges du silence. Des pierres de silence.

C'est ainsi que j'appris - m'apparut, se présenta à moi - ce qui vivait de l'autre côté du nom identitaire apposé sur la grille du camp de concentration " poésie ".

De l'autre côté du nom, pas de l'autre côté de la grille : là il n'y avait rien, que le mirage d'un territoire où circonscrire les langues étranges, comme un abcès où fixer la maladie.

[...]

Christiane Veschambre, Basse langue, Éditions Isabelle Sauvage, Collection singuliers pluriel, 2016, pp. 85-86.

Christiane Veschambre  |  Une Hôtesse minuscule


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