Cohabiter

Pour quelques mois, je ne suis jamais seule. Depuis que je te sens bouger, c’est encore plus flagrant. Je suis deux.

C’est un bonheur de te savoir là, de t’imaginer donner tes petits coups de pieds, te tourner encore et encore. Je sais que c’est une période de grâce, qu’ensuite nous ne serons plus jamais ainsi, alors j’essaye de profiter, de graver les sensations. Je sais aussi que je ne te reconnaitrai pas tout à fait à la naissance, que je te regarderai, étonnée, en me disant « alors c’est toi mon enfant, celui avec qui j’ai partagé mon corps. C’étaient tes pieds que je sentais ». Je n’imagine pas ton visage, mais je me demande si tu ressembleras à ta soeur. J’ai adoré ton petit nez retroussé aux échographies. Comme j’ai hâte de l’embrasser. Rose a ce petit creux en haut du nez, que j’ai tant et tant embrassé.

Le soir, tu t’éveilles, au moment où j’aimerais m’endormir. Il faut faire avec, te laisser t’étirer et cogner, et j’attends que tu te calmes pour pouvoir fermer les yeux.

Je mange pour toi, je me lave trop les mains pour toi, je fais tout doucement pour toi. Et puis parfois, j’oublie, j’accélère, je porte alors que je ne devrais pas. Je m’en veux, mais c’est ça aussi de cohabiter : faire à deux.

C’est parce que tu es là que j’ai des fous-rires même quand ce n’est pas drôle. Que tout d’un coup j’angoisse alors qu’une minute auparavant j’étais calme. Que je deviens obsédée par l’ordre, par le rangement de cet appartement, qui doit être parfait pour t’accueillir, toi qui es si précieux.

C’est étrange de ne plus s’appartenir tout à fait. Je ne pourrais pas faire ça toute ma vie tu sais. Mais pendant neuf mois c’est d’accord. Je me tourne de l’autre côté pour que tu sois mieux, je ne mange pas ce pain au chocolat qui me fait de l’oeil, et ton papa soutient mes états d’âmes sans faillir.

Je suis ta maison.