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Handala, Hani, Hip Hop'n'Patti

Publié le 27 juin 2016 par Jlk

voyage,politique,musique
Lettres par-dessus les murs (23)


Ramallah le 20 avril, soir

Cher JLs,
Je reviens d'un spectacle de danse de la troupe El-Funoun, un hommage à Naji Al Ali, caricaturiste palestinien assassiné à Londres en 1989. Je lis que Thatcher s'est fâchée avec le Mossad, après sa mort, mais il est possible que l'artiste ait été assassiné par l'OLP elle-même, qu'il critiquait ouvertement, comme sur le dessin que je vous joins. Il est resté célèbre pour Handala, ce petit garçon qui tourne le dos au spectateur et qui symbolise l'obstination et l'amertume d'un peuple – on le trouve dans de nombreux appartements ici, ou en graffiti sur le mur.

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Et puis ce matin un texte a atterri dans ma boîte aux lettres, je ne sais trop par quels rebonds - un texte qui hésite entre l'émotion et la propagande, maladroit mais digne d'intérêt je crois, en français, ce qui n'est pas courant. On remarquera ici aussi la défiance des Palestiniens face à leurs dirigeants… mais ce seront mes seuls commentaires, je vous le livre tel quel, changeant seulement le nom du signataire, un professeur de l'université de Naplouse – pas un prof de français, on s'en doutera en lisant ces lignes.
"Hani était mon étudiant, j'ai partagé avec lui des moments très difficiles et aussi des moments de rire et de joie. J'étais le seul à le comprendre!!! C'était un étudiant impulsif, bagarreur et très gentil. Un enfant des camps qui ne savait pas les règles de la courtoisie imposée par les citadins de Naplouse. Il disait ce qu'il pensait tout cru sans réfléchir et souvent à haut voix. Mais il était épris de justice et de bonté : il venait souvent me voir pour régler les problèmes des autres mais il ne parlait jamais de ses problèmes. Lorsqu'il parle ses mains bougent dans tous les sens et son visage devient rouge puis il se calme… Et pour finir il vient t'embrasser et demander de l'excuser.
Souvent, il arrivait le matin en retard parce qu'il ne savait pas dans quel coin de la ville il se cachait et chez qui il dormait…Vivre tous les jours la peur au ventre, changeant de maison, de quartier, de rue et fuir rapidement en pensant à ce que l'ennemi a mis comme plan non pas pour vous arrêter mais pour vous tuer, c'était le pain quotidien de ce garçon.
Puis, il faut tenir bon et lorsque l'occasion se présentait résister et tirer sans peur ni crainte. C'est ce qu'il a fait ce matin. Oui, il a résisté autant qu'il peut… Des minutes, des heures ou toute la nuit devant les brigades de la mort israéliennes protégées par l'aviation, les blindés et toute la technologie moderne…Lorsque nous résistons en Palestine deux solutions s'offre à nous : la mort ou la mort …
La mort de ce garçon m'a énormément touchée. L'année dernière, il a eu un problème avec un prof qui n'aimait pas les gens de Fatah en général, j'étais obligé d'intervenir pour faire respecter le prof et demander au prof d'être un peu tolérant avec un pourchassé des brigades de la mort israéliennes. Hani était tellement modeste et respectueux envers ses profs au point d'aller présenter ses excuses à ce prof. Et il a décidé d'arrêter les cours parce qu'il ne pouvait pas concilier résistance à l'occupant jour et nuit, pourchassé et suivi d'une maison à l'autre, d'une rue à l'autre et surtout blessé de deux balles à la jambe et les études...
La résistance à Naplouse, ville assiégée depuis le début de la deuxième Intifada, qu'on le veuille ou non se fait à partir de l'invasion de 2002 par les gens du Fatah le Jihad Islamique et un peu dans le camp de Ain Beitalmaa par le FPLP. Ces résistants, dont on ne veut pas parler dans les médias arabes et au sein de l'autorité Palestinienne, ne croient pas au processus de paix décidé et ordonné par l'occupant et ses alliés et opposent une résistance farouche à l'occupant souvent dénaturée par certains bandits qui profitent de l'insécurité pour se remplir les poches. Cette résistance est la seule qui existe dans la région nord de la Cisjordanie au cas où vous ne le savez pas... Elle doit continuer par des gens qui n'ont rien à perdre rien à gagner…
Souvent la mort vient en une belle journée d'avril et je dis comme les Indiens d'Amérique c'était une belle journée pour mourir cher Hani.
Basem"

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A La Désirade, ce dimanche 20 avril, soir.
Cher Pascal,
J’ai passé toute la journée d’hier avec vous dans le noir. Il faisait un temps sublime et je suis entré dans un salle obscure où m’attendait Osvalde Lewat, qui avait Une affaire de nègres à me raconter.
Son film commence par un rite funéraire durant lequel des femmes vont ensevelir, dans une fosse, non pas un corps, mais une branche de palmier sectionnée par un coup de machette, comme a été fauchée la vie d’un jeune homme, entre 2000-2001 - et il y en eut mille environ -, liquidé sans jugement par un escadron de la mort baptisé Commandement opérationnel, et qui aboutit, sous prétexte de lutte contre le banditisme dans la ville de Douala, à des massacres arbitraires visant les plus démunis d’un quartier de misère. Sur une simple dénonciation, « ils sont venus prendre l’enfant… ». Et cette Osvalde Lewat de recueillir le témoignage de ce grand mec en uniforme, souriant et semblant en bander encore, à reconnaître le plaisir qu’il avait de tuer et de se saouler ensuite un bon coup avec ses compères. Handala, à ce moment-là, avait le dos tourné et les épaules secouées de pleurs. Puis il se retourna et l’on vit ce grand nègre en larmes parlant de son fils à lui, emmené par les bourreaux l’aube d’un jour paisible.
Tu connais la rive de Nyon au printemps : c’est la quiétude même, mais me voici te rejoindre à Ramallah dans un tonitruement de rap palestinien sur fond de coups de feu et de sirènes, appelé là-bas, toujours dans le noir, par une Palestinienne installée aux States, Jackie Reem Salloum, qui a filmé, dans Slingshot, les jeunes rappeurs de DAM, de Lyd, que tu connais sans doute, et du groupe PR de la bande de Gaza. Après le passé récent du Cameroun, voici que je me trouvais plongé, avec une salle de plus en plus vibrante d’émotion, dans ce que tu vis tous les jours, mélange de contrainte et d’exubérance, de désir de vivre et d’interdits, au fil de ce qui est bien plus qu’un reportage tendancieux: une immersion dans cet étrange labyrinthe cerné de murs et de haine où des bandes de jeunes gens, certes révoltés, disent leur désir de paix et de vie bonne. Propagande déguisée que ce hip hop aux récits arrachés à la vie dans ce piège ? Pas du tout mon sentiment à découvrir, avec Jackie, ces bandes de magnifiques jeunes gens, garçons et filles aussi, telle la belle Adeem, qui restent pleins d’espoir en dépit d’une situation désespérante. 
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Ensuite c’est le journaliste colombien Hollman Morris qui nous a rejoints, dans la même salle obscure, dont le dernier film de son compatriote Juan Lozano, Témoin indésirable, est consacré à son effort courageux, sous menace constante, de documenter les massacres perpétrés par les groupes paramilitaires, dont le nombre des victimes avoisine les 20.000 disparus.
Voilà le cinéma du réel, et le soir ce fut Patti Smith qui chantait en noir et blanc son Dream of Life, vieille ado féerique à dégaine de sorcière tendrement moqueuse, modulant en finesse les poèmes de Blake et de Rimbaud, avant de se déchaîner dans la jungle de décibels des orages magnétiques à la gloire des garçons sauvages de Burroughs & Ginsberg.
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Et demain il pleuvra mais je retournerai dans le noir voir ce qui se passe chez vous, là-bas, tous près… A 5 minutes de chez moi, comme Nahed Awwad intitule son dernier film, qu’on verra sans la voir, puisque le mur reste entre nous, en ne pensant que plus fort à vous autres…
Images. Dessins de Naji Al Ali. Les rappeurs du groupe PR. Hollmann Morris. Patti Smith.

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