Que le motif du
regard ne soit pas un thème parmi bien d'autres dans l’œuvre de
Sebald, mais bien une préoccupation essentielle, j'en veux pour preuve qu'au moment de sa mort, le 14 décembre 2001, dans un accident de voiture en Angleterre, il avait confié trente-trois poèmes courts à son ami
Jan-Peter Tripp, qui devait disposer, "en regard" de ceux-ci, fort précisément, ses propres œuvres. Jan-Peter Tripp, rappelons-le, c'est ce peintre dont Sebald reproduit le regard dans les premières pages d'
Austerlitz.
Le livre rassemblant poèmes et images a paru en France, en 2014, grâce aux éditions Fario, sous le titre
« Nul encore n’a dit », dans une traduction de Patrick Charbonneau, avec une préface de Gilles Ortlieb, une postface d’Andrea Köhler et « Un adieu à Max Sebald » de Hans Magnus Enzensberger.
Andrea Köhler y évoque un
« poème des regards », où
« le texte et l’image ne s’explicitent ni même ne s’illustrent mutuellement, mais (...) entrent en un dialogue préservant pour l’un comme pour l’autre sa propre chambre d’écho ».
Patrice Beray rapporte que le titre original en allemand « Unerzählt » signifie littéralement « non raconté » : "
Y font clairement écho les choix de traduction dans la version anglaise de ce livre avec « Unrecounted », et aussi par exemple dans sa version espagnole avec « Sin contar »."
Les regards s'affirment dans la puissance (celui, saisissant, d'oiseau de proie, de rapace, de Samuel Beckett)
comme dans la douceur (celui, paradoxalement si humain, de Maurice, le chien de Sebald)
Sebald :
« Plus je regarde les peintures de Tripp et plus je constate que l’illusion de la surface dissimule une inquiétante profondeur. Celle-ci constitue, pour ainsi dire, la doublure métaphysique de la réalité… »Notons, pour terminer, que Tripp est l'auteur en 2003 d'un portrait de Sebald, qu'il a titré en allemand
"L’oeil oder die weisse Zeit" (“The Eye or the White Time”).
Photo prise lors d'une exposition à Barcelone, Las varaciones de Sebald, CCCB © La Fotogràfica, 2015