Voici ce que j’ai déclaré ce 14 juillet 2016 au monument aux morts de Templemars, à l’occasion de la fête nationale.
Le 14 juillet que nous commémorons chaque année n’est pas arrivé par hasard. La prise de la Bastille est le point d’orgue d’un puissant mouvement d’idées qui a infiltré des couches entières de la société française, mais aussi celles du Vieux continent en s’appuyant sur la foi dans la démocratie, contre la tyrannie.
La révolution française met bas une monarchie et une société aristocratique en déliquescence, et consacre ce qu’on a appelé le siècle des Lumières. Dans notre pays, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, d’Alembert ont porté cette marche vers le progrès. Mais dans toute l’Europe de l’époque, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne, des intellectuels, des philosophes ont secoué l’ordre établi, cherché à combattre l’ignorance par la diffusion du savoir.
A travers ce grand mouvement des idées est née l’idée européenne. La Révolution française n’a pas tout résolu, loin de là, et nous savons aujourd’hui que nous ne pouvons pas attendre de miracle d’un hypothétique «grand soir». Ce mouvement des idées n’a pas empêché que nous connaissions ensuite au sein même de l’Europe des conflits majeurs. Et chaque jour, nous continuons à recevoir des nouvelles terrifiantes du monde entier. Mais les philosophes du XVIIIe siècle nous ont au moins appris que le pire n’est pas forcément probable, et que nous avons entre nos mains les moyens de construire le bonheur pour tous.
En ces temps de doute dans notre avenir, dans les institutions en général, et notamment dans celles dont nous sommes dotés pour construire cette Europe, il n’est pas inutile de se remémorer également la pensée de ses fondateurs. Ecoutez Jean Monnet, un des pères du Marché commun en septembre 1952 à Strasbourg : «Cette union européenne ne peut pas se fonder seulement sur les bonnes volontés. Des règles sont nécessaires. Les événements tragiques que nous avons vécus, ceux auxquels nous assistons, nous ont peut-être rendus plus sages. Mais les hommes passent, d’autres viendront qui nous remplaceront. Ce que nous pourrons leur laisser, ce ne sera pas notre expérience personnelle, qui disparaîtra avec nous ; ce que nous pouvons leur laisser, ce sont les institutions. La vie des institutions est plus longue que celle des hommes et les institutions peuvent ainsi, si elle se sont bien construites, accumuler et transmettre la sagesse des générations successives. »
Je voudrais aussi vous proposer ce que dit un grand écrivain du début du XXe siècle. Stefan Zweig était originaire de Vienne, en Autriche. A l’avènement d’Hitler en Allemagne il doit quitter son pays natal, comme beaucoup de Juifs, et vivre en exil à Londres, puis en Amérique du Sud. Il s’est beaucoup interrogé dans les années 30 sur le nationalisme et les aventures irrationnelles dont on a pu mesurer ensuite les dangers.
« L’idée européenne, écrit-il, n’est pas un sentiment premier, comme le sentiment patriotique, comme celui de l’appartenance à un peuple, elle n’est pas originelle et instinctive, mais elle naît de la réflexion, elle n’est pas le produit d’une passion spontanée, mais le fruit lentement mûri d’une pensée élevée. Il lui manque d’abord l’instinct enthousiaste qui anime le sentiment patriotique. L’égoïsme sacré du nationalisme restera toujours plus accessible à la moyenne des individus que l’altruisme sacré du sentiment européen, parce qu’il est toujours plus aisé de reconnaître ce qui vous appartient que de comprendre votre voisin avec respect et désintérêt. A cela s’ajoute le fait que le sentiment national est organisé depuis des siècles et bénéficie du soutien des plus puissants auxiliaires. »
J’ai beaucoup vibré comme beaucoup d’entre vous ces derniers jours aux exploits de nos valeureux footballeurs de l’équipe de France. J’ai fièrement chanté notre hymne national, et je crois que cet épisode sportif a contribué à ce que les Français renouent avec l’amour des couleurs de leur pays.
Mais gardons précieusement à l’esprit ces paroles de Jean Monnet et Stefan Zweig, au moment où certains nous proposent de jeter ces grandes idées aux oubliettes et de nous réfugier dans l’extrémisme, le chauvinisme étroit et l’égoïsme.
La révolution que nous fêtons aujourd’hui est le point de départ des institutions républicaines que nous honorons et sur lesquelles nous nous appuyons pour vivre ensemble, en France et en Europe. Respectons-les comme nous honorons nos couleurs, apprenons à nos enfants à les estimer et à les faire vivre. C’est ainsi que nous pourrons dire que nous sommes les héritiers des philosophes des Lumières.