Ce tableau n'est pas à sa place habituelle mais, en raison de travaux de transformation, dans une salle mal éclairée du sous-sol : il s'agit de la Vierge à l'enfant avec saint Antoine et saint Georges, peint vers 1435-1441.
Ce petit tableau, écrit Sebald, "est presque entièrement occupé dans sa moitié supérieure par un disque doré dardant son éclat sur le bleu du ciel et servant de fond à une image de la Vierge portant l'Enfant rédempteur. (...) A gauche se tient le patron des troupeaux, des bergers et des lépreux, saint Antoine. Il porte un habit grenat à capuchon recouvert d'une houppelande ocre-brun et tient à la main une clochette. A ses pieds, un sanglier docile, aplati sur le sol en signe de complète soumission. L'ermite pose un regard empreint de gravité sur la glorieuse apparition du chevalier venu à sa rencontre et dont émane une temporalité émouvante. Le dragon, animal ailé à carapace annelée, a déjà rendu son dernier souffle. L'armure de métal blanc artistement forgée concentre sur elle toute la lumière du soir. Il ne tombe pas la moindre ombre de culpabilité sur le visage juvénile de Georges. Nuque et cou sont livrés sans protection au regard de celui qui l'observe." (C'est moi qui souligne)
Le sanglier et le dragon
Méticulosité de la description, comme le plus souvent chez Sebald, qui laisse pourtant passer une légère erreur : il ne me semble pas en effet que le dragon ait rendu son dernier souffle. Au pied du chevalier, la gueule entrouverte sur une mâchoire menaçante, il semble entretenir bien au contraire un dialogue silencieux avec le sanglier d'Antoine : les regards des deux bêtes sauvages convergent et l'une des pattes écailleuses du monstre pointe vers un groin qu'on dirait presque transpercé par l'une des épines de l'aile.Saint Antoine et saint Georges
Et puis que penser de cette culpabilité absente sur le visage juvénile de Georges ? Pourquoi Georges devrait-il se sentir coupable ? En tout cas, il affronte sans état d'âme le regard de l'ermite, et cet échange là aussi silencieux redouble celui qui se joue à l'étage inférieur avec le dragon et le sanglier.
Étrange aussi cette phrase que j'ai soulignée : cette nuque et ce cou livrés sans protection au regard de l'observateur. La lourde capuche de saint Antoine ne l'expose pas à pareil danger. Sebald instille une menace, qui s'incarne aussi en ce dragon mal occis qui frétille à la botte du héros.
Mais ce n'est pas cela qui semble surtout retenir l'attention de Sebald, qui écrit que ce qui rend ce tableau si particulier c'est "le chapeau de paille à large bord, extrêmement ouvragé et orné d'une grande plume, que porte le paladin. J'aimerais bien savoir comment il est venu à l'idée de Pisanello d'affubler saint Georges d'un couvre-chef seyant en vérité si peu aux circonstances, et pour tout dire extravagant. San Giorgio con capello di paglia - fort insolite, ma foi, comme le pensent peut-être aussi les deux bons chevaux qui regardent par-dessus l'épaule du chevalier."
Pourquoi Sebald n'a-t-il rien de plus pressé, à peine revenu d'Allemagne, que d'aller contempler (on peut supposer que ce n'était pas la première fois) ce tableau de Pisanello ? Pourquoi se confronter à nouveau à cette énigme du capello di paglia, substitut de l'auréole sanctificatrice (bien présente en revanche chez Antoine) ?
(A suivre)