La lemniscate de Bernoulli (Wikipedia)
Elle est analogue au symbole représentant l’infini, inventé par le mathématicien John Wallis en 1655 dans De sectionibus conicis1 (lit. des sections coniques), contemporain de Bernoulli.Certains tarots plus récents représentent carrément le symbole sans plus s'embarrasser du chapeau :
Et pourtant il s'agit de la première lame, du premier atout, porteur du Principe. Son boniment est peut-être plus profond qu'on ne pense, sa rouerie cache des secrets essentiels. Il faut dépasser les apparences, et sous le filou deviner le philosophe.
Dans sa main gauche, un bâton, une baguette levée vers le ciel. Certains veulent y voir l'évolution de la matière, peut-être une baguette magique.
Un mot sur la Force, une des quatre vertus chrétiennes cardinales, représentée par une femme ouvrant la gueule d'un lion. Ne vous fait-il pas penser au dragon pisanellien, qui ronge son frein aux pieds du paladin ?
En somme ce saint Georges serait comme une sorte de condensation entre ces deux figures du Tarot.
Fresque de la casa Borromeo représentant des joueurs de cartes
Pas d'emballement. L'historien avisé hurlera, et il aura raison, à l'anachronisme. Le plus ancien tarot du type "Tarot de Marseille" est daté de 1650 (Jean Noblet, Paris). Cependant la première mention de cartes de tarot (car le Tarot est loin de s'identifier au seul type marseillais) remonte à 1442, à Ferrare, en Italie. Exactement à la même époque que la création du tableau de Pisanello.On parle alors de carte da trionfi, car ces figures spéciales qui composent en somme une cinquième couleur, au-delà des enseignes habituelles (nos piques, cœurs, carreaux, trèfles n'existent pas encore et l'on parle de deniers, bâtons, épées, coupes), sont appelées triomphes. Une fresque de la Casa Borromeo à Milan, datée aussi du Quattrocento, représente ainsi pour la première fois des joueurs de trionfi.
Il ne faut pas s'y tromper : ces cartes, d'origine certainement orientale, sont d'abord un jeu de princes, des objets luxueux produits par d'excellents artistes. Ce n'est que vers 1500, avec la xylographie des maîtres cartiers, que le jeu va gagner les milieux populaires.
La Force - Tarot Visconti-Sforza (XVème siècle)- Bonifacio Bembo — Beinecke Rare Book & Manuscript Library, Yale University ([1]).
Revenons à Pisanello : s'il a subi l'influence de ces nouvelles cartes, les autres éléments du tableau en sont-ils indemnes ou bien participent-ils du même mouvement ? J'ai tendance à opter pour la seconde solution, car saint Antoine, pour commencer, n'est pas très éloigné d'une autre lame majeure, l'ermite.
Le numéro 9, l'Ermite, du jeu de Jean Dodal (début XVIIIe siècle)
Saint Antoine, dit le Grand, fut en effet ermite, dans le désert d'Egypte, où il vécut entre 251 et 356. On le considère même comme le fondateur de l'érémitisme chrétien. Comme attributs, outre le cochon, il porte la clochette et le bâton en forme de tau (le tau apparaît parfois sur l'habit, chez Bosch par exemple).Or, regardez bien le bâton d'Antoine sur le tableau de Pisanello : il n'est pas en forme de tau, mais recourbé comme sur la carte de l'ermite (on notera en passant le huit formé par la dragonne de la clochette).
Le grand Saint Antoine, volet latéral du retable d'Issenheim (on distingue bien le bâton en forme de tau)
Bouclons pour aujourd'hui, par cet extrait de journal de 2004, où Fernande tient en quelque sorte la vedette. On verra que le symbole de la lemniscate lui est familier depuis bien longtemps...